Depuis le tremblement de terre de 2010, plus de 10 000 ONG et autres organisations sont actives en Haïti. Malgré le soutien qu’elles apportent à la population, elles sont aussi responsables de la dégradation d’un Etat qui était déjà chancelant. L’absence d’une vision à long terme explique en partie ses obstacles structurels en dépit d’un sentiment national très fort.
Cela fait des années qu’Haïti est surnommé la « république des ONG ». Après le séisme, les donations ont explosé en même temps que la polémique sur l’attribution de ces fonds. Selon l’agence de presse américaine Associated Press, à cause des nombreux intermédiaires, du remboursement de l’aide d’urgence internationale et de l’opacité du fonctionnement des plus grosses ONG, seul 1% des dons pour le tremblement de terre est parvenu jusqu’au gouvernement haïtien. Cela explique en partie le retard accumulé dans la reconstruction de Port-au-Prince, la capitale haïtienne.
Même si le rôle des ONG est crucial dans le développement de ce pays, leur simple présence et attitude provoque une atomisation de la gouvernance haïtienne. Trop d’organismes ciblent mal leurs interventions, proposent des petits projets de construction d’écoles ou de bâtiments communautaires. Il s’agit avant tout d’un problème de coordination et d’échelle. Pour la beauté de la photo du travail accompli et la satisfaction des donateurs, les véritables problèmes sont évités. Ce n’est pas forcément d’une école dont les Haïtiens ont besoin mais d’un système éducatif qui permettent à tous les enfants d’y aller.
Les habitants ont certes besoin de puits d’eau mais surtout d’un réseau qui l’amène jusqu’à chez eux. Ces projets sont coûteux mais la totalité des dons récoltés après le séisme s’élève à plusieurs dizaines de milliards de dollars. La construction de ces infrastructures publiques permettrait enfin à l’Etat haïtien de s’affirmer car la carence étatique est au centre des problèmes auxquels Haïti doit faire face.
L’absence de l’Etat handicape l’économie
La première chose qui frappe quand on sort de l’aéroport Toussaint Louverture à Port-au-Prince est l’état d’insalubrité publique. Les déchets s’accumulent partout, notamment les petits sachets en plastiques contenant de l’eau potable qu’on peut acheter à tous les carrefours du pays. Démocratie ou dictature, le constat est simple, la fonction publique n’existe que de façon marginale. En 2013, Transparency International classe Haïti 163ème sur 177 en matière de corruption.
L’instabilité chronique, tant du point de vue économique que politique, s’explique en grande partie par la carence étatique. L’Etat haïtien n’a pas su, comme ce fut le cas en République Dominicaine, instaurer un climat de confiance pour faciliter les investissements étrangers notamment dans le tourisme de masse et investir dans des infrastructures publiques capables de recevoir les touristes occidentaux et ainsi bénéficier de sa rente de situation. Une simple escale aux aéroports internationaux de Port-au-Prince et de Saint-Domingue en République Dominicaine est le meilleur exemple pour s’apercevoir de l’incroyable fossé qui existe entre les deux pays voisins.
Les chiffres sont flagrants, selon la Banque Mondiale, en 2012, Haïti n’a accueilli que 295 000 touristes contre 4 563 000 pour la République Dominicaine. Ces deux pays partagent la même île et pourtant à cause de sa mauvaise réputation et de ses défaillances structurelles, Haïti est le 161ème pays en matière de développement selon l’ONU.
Le sentiment national, un atout majeur
Pourtant, le pays possède un atout qui est absent de la plupart des pays qui connaissent des difficultés politiques et économiques similaires. L’esprit de fierté nationale très fort en Haïti, qui apparaît à travers l’histoire, la culture ou le patrimoine du pays, a créé une société civile paradoxalement crédible, au vu de la situation globale, notamment grâce à des acteurs locaux de confiance comme l’Association Nationale des Scouts d’Haïti (ANSH).
Les ONG n’ont que trop peu agi en prenant en compte cet élément. Elles ont un rôle à jouer très important dans le développement du pays en apportant des capitaux et en donnant confiance aux investisseurs mais ce manque de coordination empêche toute évolution majeure. L’ONU est présente dans le pays depuis 2004 et aurait peut-être pu jouer ce rôle de coordinateur et d’organe de surveillance qui a manqué jusque-là. Refonder l’état haïtien pour le mettre au cœur de la reconstruction du pays, avec l’aide des ONG, voilà ce qui aurait peut-être dû être l’objectif premier de l’aide internationale.
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Emmanuel Boulan
Source/L’Opinion
Photo/Archives
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