PORT-AU-PRINCE – Le ministre de la Justice haïtien Camille Edouard Junior, a déclaré dans une conférence de presse, qu’il a organisée ce matin, que le transfert de Guy Philippe aux Etats Unis n’était qu’une formalité. Il affirme qu’il n y a rien d’illégalité et d’inconstitutionnalité dans cette affaire, en agissant de telle sorte, il tente de justifier sa sottise et prouve en même temps son incompétence.

Ainsi, une fois pour toutes, il est indispensable de faire le point sur cette question d’extradition, qui est malheureusement mal comprise par un certains nombre de juriste haïtien. Notons que l’extradition est l’un des principaux outils de collaboration pénale utilisé par les Etats pour lutter contre la criminalité organisée transfrontalière. Vu sa complexité, elle nécessite en préalable un questionnement, sur sa portée, la discrimination des individus qui en sont susceptibles, la cause ou la raison de respecter la procédure, les conditions…

1. L’extradition en droit haïtien
En vertu de l’article premier de la loi du 4 décembre 1912, l’extradition est un procédé par lequel une personne se trouvant sur le territoire haïtien est remise à un autre Etat, soit pour la juger, soit pour lui faire exécuter une peine déjà prononcée. Elle constitue en effet une forme d’entraide répressive internationale. Cette loi détermine les conditions de l’extradition, selon une double procédure :

• judiciaire, parce que la justice a obligation d’intervenir pour instruire les demandes d’extradition pour garantir les libertés et les droits fondamentaux de l’individu

• administrative, pour sa dimension politique, imposant un décret pris en conseil des ministres pour autoriser l’extradition.

1. Le mécanisme de l’extradition, causes et moyens
Ces conditions sont liées à la personne réclamée par l’État requérant, puis aux faits. Une procédure dont l’exactitude de leur exécution garantit les droits et des personnes et des états.

A- les conditions de fond de l’extradition
1. Les personnes visées
Les Haïtiens. Concernant les Haïtiens, la loi est claire : pas d’extradition car l’État haïtien doit protéger ses ressortissants contre une justice étrangère ; ainsi la République dominicaine par exemple, réclamant un Haïtien auteur d’un crime sur le sol dominicain, mais qui a réussi à regagner Haïti, ne peut en obtenir l’extradition. L’état montrerait une faiblesse contraire à sa souveraineté en livrant spontanément un Haïtien à l’État dominicain. Ce principe de non extradition des nationaux (Haïtiens) est conforté par l’article 41 de la Constitution en vertu duquel aucun individu de nationalité haïtienne ne peut être déporté ou forcé de laisser le territoire national pour quelque motif que ce soit. Deux interprétations :

• le texte ne vise que la déportation, interprétation restrictive et limitative ; il est possible d’extrader un haïtien vers un autre État

• mais, le terme de quelque motif que ce soit ouvre le texte et signifie que la déportation n’est qu’un exemple, et que l‘extradition est elle aussi concernée par l’interdiction de forcer un Haïtien de laisser le territoire national. Donc, Le droit haïtien protège les Haïtiens contre toute manœuvre tendant les expulser du territoire national.

Dans un autre traité sur l’extradition signé entre Haïti et les États-Unis d’Amérique le 09 août 1804, l’article 4 mentionne que << Aucune des Parties Contractantes ne sera tenue de délivrer ses propres citoyens >>.

N.B : Non extradition des nationaux ne veut pas dire impunité. L’Etat haïtien n’extrade pas le national, mais la justice haïtienne doit le juger.
Les étrangers. La loi de 1912 vise tout étranger auteur d’une infraction en Haïti, ou hors du territoire national mais portant atteinte aux intérêts d’Haïti. Ici l’état haïtien est compétent pour plusieurs raisons, d’abord, l’infraction ayant été commise sur le sol national, la justice haïtienne est compétente pour juger l’individu. Si le cas le requiert, l’État dont l’étranger à la nationalité peut faire une demande d’extradition à l’État haïtien qui reste, dans tous les cas libre de décider selon l’art 5 de la loi du 4 décembre 1912. Ensuite, si l’infraction est commise hors du territoire, la justice haïtienne est compétente pour juger l’individu afin de protéger ses intérêts, car aucun autre Etat ne le ferait à sa place.

2. Les faits
N’importe quel fait ne peut pas justifier l’extradition. Ils doivent présenter une certaine gravité. Plusieurs précisions. Haïti va admettre la demande d’extradition si l’État requérant peut prouver une compétence pour juger les faits. Art 1er et l’article 6 de la loi de 1912 sur l’extradition des criminels et fugitifs.

Selon L’art 1er de la loi de 1912, l’extradition ne peut être demandée que pour des faits criminels au regard de la loi de l’État requérant, étranger par définition… A cet effet, l’article 2 dit : L’extradition ne pourra être accordée que si les faits que l’État requérant mis à la charge du fugitif sera qualifiés crime et punie d’une peine afflictive ou infamante. Selon cet article, l’infraction doit être un crime. Pour un simple délit ou une contravention, pas d’extradition.

Neutralité politique. Pour protéger les individus réclamés, le législateur haïtien exige une neutralité politique de l’Etat requérant : pas d’extradition politique. Il faut une réciprocité d’incrimination. Si un droit étranger qualifie un fait comme crime, il faut que sa qualification soit équivalente dans le droit haïtien. Sinon, pas d’extradition.

(Non bis in idem) Pas de double punition pour les mêmes faits. L’individu déjà jugé et ayant purgé sa peine, est quitte sur le plan pénal. Si les faits pour lesquels l’État étranger réclame l’individu ont déjà été jugés en Haïti, et que l’individu ait déjà été condamné et purger sa peine. Il ne doit pas y avoir d’extradition.

B- Les conditions de forme de l’extradition
La procédure d’extradition est hybride, mi judiciaire, mi administrative. Pourquoi judiciaire ? Parce qu’il va avoir l’intervention du commissaire du gouvernement et d’une chambre d’instruction pour instruire la demande d’extradition. Pourquoi une dimension administrative ? Parce que l’extradition doit se terminer toujours par un décret à la fin de la procédure. Concernant la demande d’extradition, elle doit suivre un cheminement diplomatique.

1.La technique de la demande
Un dossier complet. L’article 10 de la loi du 4 décembre 1912 dit a cet effet que toute demande d’extradition doit être présentée par l’entremise de l’agent diplomatique représentant l’Etat requérant en Haïti. À réception de la demande, transmission du dossier est faite à un commissaire du gouvernement, qui lui-même communique le dossier à un juge d’instruction par un réquisitoire d’informer, pour lancer l’instruction de la demande. Le juge d’instruction va décerner un mandat d’amener contre la personne, qui doit être interceptée et mise en garde à vue. A la fin de la procédure, selon l’article 23 de la loi du 4 décembre 1912, le cabinet d’instruction rend un avis pour dire s’il y a lieu de l’extrader. A ce stade, deux hypothèses sont possibles.

Première hypothèse. La justice haïtienne rend un avis négatif quand elle constate qu’une condition de l’extradition n’est pas remplie. Dans ce cas, pas d’extradition, et la personne est libérée si elle était en garde à vue. Le pouvoir exécutif, ne peut aller au-delà de cet avis de la justice pour extrader l’individu selon l’article 26 de la loi du 4 décembre 1912.

Précision importante : la justice haïtienne est incompétente pour se prononcer sur le bien fondé des charges avancées par l’État demandeur, c’est-à-dire sur la culpabilité ou l’innocence de l’individu.

Deuxième hypothèse. Si l’avis est favorable, l’extradition est possible, et le président de la République clôture la procédure en signant le décret de l’extradition pris en conseil des ministres pour autoriser la remise de l’individu à l’Etat étranger. Cela signifie que le Gouvernement n’étant pas lié par la décision de la justice admettant l’extradition, il demeure toujours libre de décider s’il extrade l’individu ou pas ; si la Chambre du Conseil n’admet pas la demande, le Gouvernement au contraire reste lié.

2. Autres cas de figures
Quid si la personne réclamée est en affaire avec la justice haïtienne ? L’article. 27 de la loi de 1912 sur l’extradition précise : si la personne a extrader est sous le coup d’une instruction judiciaire en Haïti, pour une cause autre que celle qui a motivé la demande d’extradition, il sera différé à l’examen de la demande jusqu’à ce que le jugement soit prononcé et, s’il y a condamnation, jusqu’à ce que la peine infligée soit entièrement subie ou remise.

Haïti, Etat requérant. Si c’est l’État haïtien qui réclame un individu, la procédure suivie est celle de l’Etat requis. La demande suit la voie diplomatique, initiée par le commissaire du gouvernement et adressée au juge d’instruction, qui communique au ministre de la justice, lequel adresse le dossier au ministre des affaires étrangères, qui fait suivre à son homologue étranger.

Toutes ces conditions justifient l’exigence de l’existence des procédures que l’État haïtien doit respecter avant l’extradition de n’importe quel citoyens ; peu importe l’infraction commise, et peu importe le crime. Car, La procédure de l’extradition, sans aucun doute, est très complexe. L’on y reconnaît la précaution prise par le législateur pour protéger les intérêts tant du citoyen, même accusé, et les institutions, du fait que la justice constitue un pouvoir en tant que tel.

Les Haïtiens ont pu suivre ces dernières années une série d’expulsion, forcée par définition, obligeant des nationaux de partir hors du territoire national. Devant cette rafale qui interpelle, il a semblé utile ou nécessaire de rappeler les mécanismes juridiques établis et reconnus qui s’imposent à tout Etat souverain, dont Haïti. Plus tard, sans doute, faudra-t-il également signaler au peuple haïtien que le comportement des autorités politiques haïtiennes depuis plus de 10 ans est lourdement illégal et entaché d’inconstitutionnalité.

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Source/Radio Télévision Caraibes
Photo/Archives
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