CAP-HAITIEN – Haïti est aujourd’hui, pour ainsi dire, à une croisée des chemins. Mais deux questions fondamentales restent à ce jour sans réponse : (1) Que voulons-nous réellement faire de ce pays ? (2) Et, dans l’hypothèse où quelque chose de sérieux y serait envisageable, quels moyens nous nous donnons pour y arriver?

Outre la Caravane de changement lancée par le Président de la République ( dans les conditions que nous savons tous) dans le souci, dit-on, de booster la croissance économique par la redynamisation du secteur agricole, l’actualité est marquée par l’insalubrité des villes notamment celles qui ont été récemment inondées et qui risquent d’être la cause de propagation de maladies dangereuses, la misère abjecte de la population amplifiée avec l’augmentation du prix du carburant, la situation ignominieuse de nos universités, l’indécence parlementaire, les manifestations des ouvriers réclamant de meilleurs traitements salariaux, et surtout par les mouvements de grève et de protestations des enseignants exigeant de meilleures conditions de travail à travers le pays.

Ces mouvements dont l’intensité s’accroit de jour en jour, au risque de compromettre l’avenir des élèves, notamment ceux et celles qui sont en classes terminales (cycles fondamental et secondaire), demandent des réponses urgentes et sans détour de la part des responsables d’Etat. Cependant, au lieu de s’y atteler, la plupart de nos dirigeants, dans un langage ésotérique et exotique, nous étalent plutôt leur méconnaissance flagrante de la chose publique et leur amateurisme de ce que c’est diriger un pays. Confondant l’exercice du pouvoir et les rapports de domination, tout devient prétexte pour afficher leur ignorance de la chose. On le sait tous : « l‘enfer est pavé de bonnes intentions des apprentis sorciers et des pompiers pyromanes ».

Concernant le secteur de l’Education, certaines questions dont les réponses (à fournir par les responsables) seraient d’une importance capitale pour la nation toute entière et pour les pouvoirs de l’Etat en particulier:

Pourquoi les arriérés de salaire et les dettes pour le PSUGO sont si élevés ? Alors que : 1) les examens de 6e année et de Rhéto ont été annulés dans le but de faire d’importantes économies qui devraient s’ajouter aux montants d’environ 100 millions USD collectés annuellement au titre de mesures parafiscales sur les transferts et les appels téléphoniques (FNE) ;2) le PSUGO n’a plus accepté de nouvelles écoles depuis plusieurs années et son budget qui était de HTG 2.7 milliards en 2014 est passé à HTG 4.2 milliards en 2016.

Tous ces montants n’ont-ils pas été destinés à payer les enseignants et les écoles ?
Sinon, ou sont passés ces fonds ? Dans le cadre de quels chantiers et pour quels résultats ont-ils été mobilisés ?

Pourquoi des crédits de HTG 50 a 60 millions d’investissement ont- ils été programmés pour chaque Université publique en région dans la loi des finances 2015-16 et qu’aucune de ces UPR n’a accédé à ce montant au point que leurs personnel se sont régulièrement mis en grève?

Le Ministre Cadet, peut être dans sa stratégie de mobilisation de nouvelles ressources financières, semble vouloir se pencher, via sa correspondance du 10 mai à son Directeur Général (DG), sur le cas des employés et cadres du Ministère de l’éducation nationale qui perçoivent mensuellement leurs chèques sans aucune contrepartie. Cette situation intolérable, qualifiée de « délétère » par le Ministre et qui veut s’établir en norme n’est qu’une facette des malversations et des grands maux qui gangrènent le MENFP. Et si l’on essaie de scruter la vraie réalité qui est celle du ministère, l’on s’apercevra que le « sinécurisme » adopté comme mode de fonctionnement par les employés (dont les noms sont inscrits dans la correspondance) ne peut être que le sommet de l’iceberg.

Au nom des principes républicains, le Ministre devrait également être préoccupé par les différentes formes de corruption et d’immoralité qui caractérisent le système pour que les éventuelles mesures conservatoires soient prises à tous les niveaux contre tous et toutes. Mais, le Ministre saura-t-il ou pourra-t-il le faire ? Et s’il arrive que le Ministre soit entouré de personnes proches, et même très proches, nageant dans la corruption et/ou l’immoralité, que fera-t-il ?

Ces questions (qui doivent interpeler toutes les couches saines) sont capitales car plus d’un savent que de hauts fonctionnaires du ministère de l’éducation (ou structures rattachées) sont détenteurs de bordels (notamment dans la commune de Delmas du département de l’Ouest) qui servent de repère pour les « papas » et autres viveurs (dont des responsables de l’administration publique) qui généralement ont pris l’habitude coucher avec de jeunes élèves (en uniforme dans l’enceinte des établissements et en maillots sur le chemin du retour de l’école et en direction des bordels).

S’il est vrai que la liberté de choisir son champ d’investissement conformément à la loi est totale, mais la phrase des américains qui stipule « what you do is what you are », nous met en droit de nous demander — au nom de la morale qui doit caractériser la chose éducative, et compte tenu de la tendance à la perversion qui risque de miner les écoles et dont les élèves sont l’objet—pourquoi un éducateur (ou assimilé), au lieu d’investir dans des projets éducatifs porteurs pour la jeunesse ( et toute la société), préfère augmenter les bordels et, par voie de conséquence, créer des espaces pour encourager la dépravation et prostitution de nos jeunes élèves et étudiantes ? N’est-ce pas une façon de profiter de la pauvreté de notre jeunesse que l’on est censé encadrer (protéger) et de contribuer à sa destruction?

Il n’est un secret pour personne que dans le secteur de l’éducation, base de la refondation sociale, l’immoralité et la corruption sous toute formes ont presqu’atteint leur paroxysme. Pris en otage, le système est constitué de réseaux mafieux qui dilapident les maigres fonds publics à travers des projets- ou des études-bidons financés soit par le trésor public ou par des bailleurs de fonds. Dans ce secteur, la corruption semble s’ériger en mode de gouvernance institutionnelle. La corruption nourrit la corruption et s’y installe un cercle vicieux au détriment du bien-être collectif.

Si et seulement si les structures concernées par la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent (ULCC, UCREF, commission parlementaire, organismes de la société civile, medias responsables, syndicats honnêtes, etc.) ou tout simplement, au nom des principes démocratiques, d’honnêtes contribuables avisés auraient décidé de mener des enquêtes sérieuses et demander des comptes, la société comprendrait la spirale mafieuse qui entrave le développement du secteur éducatif et le bourbier (ou marasme) dans lequel se trouve le pays […]. Malheureusement, cette culture nous échappe ! Notre société est singulière et fonctionne en dehors de tout principe de rationalité institutionnelle ou toute logique humaine quand il s’agit de la chose publique.

Toutefois, pendant que les enseignants (assistés des élèves des 10 départements) se déchainent et réclament avec légitimité des augmentations de salaire à un Etat (ou au gouvernement) sourd aux revendications, il y a lieu de faire un coup de projecteurs sur les gaspillages financiers relatifs aux chantiers juteux de formation continue des enseignants (synonyme de la manne petro-caribe pour certains réseaux installés dans le secteur de l’éducation) et aux différents marchés, notamment ceux portant sur l’acquisition d’équipements et de fournitures scolaires et des études, exécutés pour la plupart par des firmes bidons (appartenant généralement aux autorités même des structures du ministère qui représentent l’Etat ou à leurs amis).

La collusion est totale. Cela étant, ces dirigeants de l’Etat (Hauts fonctionnaires-DG-directeurs techniques-Chefs de Cabinet), souvent présentés comme d’honnêtes hommes ou femmes dans les micros de journalistes, sont à la fois (c’est-a-dire, à double titre) décideurs et clients/fournisseurs de l’Etat. Formant de véritables Cartels, ils appliquent –de connivence avec leurs associés– le principe de la majoration ou surfacturation de manière à en retirer le maximum de profit monétaire qui doit leur être retourné sous forme de pot-de-vin (ou pourboire). J’épargne les lecteurs de certains détails environnant l’exécution des marchés. Mais, ce qu’il faut retenir, dès que la clause tacite de ristourne est satisfaite, d’autres aspects (mauvaise qualité, pertinence du produit ou de l’étude commanditée pour le secteur, non exécution de contrat– produit fictif supporté par des rapports fictifs, plagiat, etc.) importent peu.

Tant que ces pratiques ne sont pas combattues en toute impartialité et réprimées avec la plus grande rigueur, que l’éthique et la moralité ne règnent pas dans l’administration publique, que les astuces des frimeurs et amateurs –professionnellement corrompus et en même temps corrupteurs- ne trouvent pas de freins, pour au moins faire des économies au profit de l’Etat et des agents mal payés du système tels que : enseignants, directeurs, personnels non enseignants, les rêves du Président Moise (s’il en a vraiment pour le bien du pays) ne quitteront même pas (/resteront sous) la couverture de son lit.

Des intellectuels d’un autre temps—qu’ils s’appellent Hegel, Lénine, Saint-Simon, Marx, ou Comte, tous ont prédit, à leur façon, la « fin du politique », c’est- à -dire, comme nous le rappelle Crozier dans L’acteur et le système, « l’avènement de la société rationnelle, rendue à elle même et maitresse d’elle-même, l’ère de la transparence sociale où le Gouvernement des Hommes sera remplacé par l’administration des choses ». A ce moment, un ministre, un DG ou tout autre haut fonctionnaire d’Etat sera un « administrateur de la loi » comme dirait Rousseau.

Quoiqu’il en soit, même par autorégulation (du système) :
Il viendra un moment où le dirigeant haïtien, censé donner l’exemple ne sera plus celui qui, après avoir scindé les marchés en violant consciemment la loi, passe ces marchés aux firmes bidons qu’il a lui-même montées, ou à ses amis en réclamant des rétro-commissions, et s’attaquera ou fera obstacle, sous toute forme, à ceux dont ils ne voient pas comment obtenir d’eux un pourboire.

Il viendra un jour où la commandite publique sera l’occasion de trouver des solutions aux vrais problèmes factuels de la société, et non un moyen pour siphonner l’argent du contribuable. A ce moment là, le plagiat sera condamné, et il ne sera plus possible de copier des documents de l’Etat pour les revendre au même Etat, et que dès que la rétro-commission est donnée, tout devient acceptable. Les mauvais ne pourront plus chasser les bons, voire s’ériger en maitres des lieux !

Il viendra un jour où celui qui s’est fait démettre, pour malversations financières aggravées, et connues de tous, arrêtera de jouer à la victimisation mais ira en tôle et ne sera plus réhabilité par un arrêté présidentiel pour être directeur général ou un autre haut Responsable dans la République. La société sera tellement responsable et exigeante, des comptes seront rendus et nos Dirigeants cesseront de se moquer du peuple d’Haïti.

Il viendra enfin un jour où ceux dont le métier est de faire tourner des Bordels le feront en toute légalité, mais d’abord dans le respect de la loi et de la jeunesse du pays, et pas en créant les conditions pour faire abuser des jeunes filles du secondaire. Un tenancier de Bordels ne pourra plus être en même temps Directeur General, Secrétaire d’Etat, Ministre ou autre. Cela sera contraire aux bonnes mœurs.

Comme Boileau disait : « Soyez plutôt maçon si c’est votre métier ». Chacun sera à sa place et œuvra dans le domaine correspondant à ce qu’il sait faire avec éthique et moralité. Puisque, « Etre intellectuel » est un métier, tout comme « être leader ». Cela ne s’improvise pas du jour au lendemain. Ni l’un ni l’autre ne consistent en rien à prononcer des discours flatteurs mais trompeurs ou à mettre bout-à-bout un ensemble de gros mots comme si cela ferait une phrase à la fin. De la même manière, Haïti ne peut plus s’amuser à mettre ensemble (additionner) un certain nombre de zéro et rêver qu’un jour cela ferait quelque chose.

Davidson Alcimé
Cap-Haitien,Haiti
Journaliste/presentateur

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