PORT-AU-PRINCE – Le retour des Forces Armées d’Haïti (FADH), a toujours insisté Jovenel Moïse, est une promesse de campagne. Le nez dans le guidon de ses engagements, de sa lecture politique et de ses ambitions ; sourd aux appréhensions de partenaires internationaux d’Haïti, dont les USA, le chef de l’Etat a nommé les membres du nouvel état-major et provoqué des critiqués trempées d’inquiétudes que les signes du prochain «démantèlement » d’une armée en construction sont déjà là.
Haïti Etat-major de l’armée ou l’art d’accepter délibérément d’être les dindons de la farce. Aucune leçon, semble-t-il, n’a été tirée de la débâcle de 1995. Même corporatisme, même conservatisme avec le même aplomb. Les signes du redemantèlement sont déjà là », a tweeté Mario Andrésol, mercredi 14 mars 2018, quelque vingt-quatre heures après la publication du communiqué de presse du ministre de la Défense, Hervé Denis, annonçant les nominations du général de brigade Sadrac Saintil, chef d’état-major général ; du colonel Jonas Jean, inspecteur général ; du colonel Jean Robert Gabriel, assistant chef d’état major (G1/G3) ; du colonel Derby Guerrier, assistant chef d’état-major G2/G4 ; du colonel Joseph Jacques Thomas, secrétaire de l’état-major général et du colonel Fontane Beaubien, membre de l’état-major personnel du commandant en chef dans le nouvel état-major des FAD’H.
Lui-même ancien capitaine des Forces Armées d’Haïti et ancien directeur général de la Police nationale d’Haïti, Mario Andrésol connait bien l’institution qui lui a donné le goût du métier des armes. Contacté par le journal après son tweet, Mario Andrésol, jeune officier au moment du renvoi des FAD’H en 1995 et directeur de la PNH pendant deux mandats consécutifs, n’a rien ajouté. Il s’en tient à son tweet assez explicite.
« Nous sommes revenus à 23 ans en arrière. L’état-major est constitué d’anciens officiers supérieurs de la promotion qui a suivi celle de Raoul Cédras. Jean Robert Gabriel, qui aujourd’hui fait partie de cet état-major, était membre de l’état-major personnel de Cédras. Ils étaient tous là pendant la période du coup d’Etat », a confié un autre ancien des FAD’H sous le couvert de l’anonymat. « Ils étaient tous en fonction à des postes de responsabilités et ne se sont jamais désolidarisés des dérives de l’armée pendant la période sanglante du coup d’Etat et de toutes les dérives de l’après-Duvalier, insiste une autre source qui suit de près le retour des anciennes FADH aux commandes des nouvelles FADH.
Un professeur d’histoire estime que ces nominations, ce premier acte posé par l’administration Moïse/Lafontant, « démontre clairement que les vues et les approches de la question de l’armée n’ont pas changé. Le plus jeune au sein de cet état-major, Derby Guerrier, qui cumule les rôles de G 2 et G4, a 66 ans ».
« Les membres de cet état-major n’ont pas l’ouverture d’esprit pour une armée moderne. A preuve, ils ont formé un état-major avec les hommes d’une seule promotion, malgré leur âge », a expliqué un peu déçu un ancien officier des Forces armées d’Haïti.
« Si on veut remobiliser l’armée, il faut le faire correctement », a estimé le sénateur Youri Latortue, ex-officier des FAD’H lui aussi. Celui qui est devenu sénateur de la République dénonce le choix des membres du haut état-major, issus majoritairement d’une même promotion. « On ne peut pas vouloir rétablir l’armée sur la base d’un petit clan alors qu’il y avait des problèmes », a poursuivi Youri Latortue, en interview à Panel Magic (100.9 fm stéréo/www.magic9haiti.com). Le haut état-major devrait refléter, selon lui, les différentes tendances de l’armée. « Le haut-état major doit être intergénérationnel et interpromotionnelle », a-t-il poursuivi.
BAI crie au scandale
Le Bureau des avocats internationaux (BAI), dans une note de presse rendue publique mercredi, a indiqué prendre acte de la nomination d’un soi-disant haut état-major des Forces armées d’Haïti par l’administration Moïse/Lafontant. « Le BAI ne s’étonne pas de ce que, sans égard pour les victimes nombreuses et innocentes du coup d’Etat sanglant du 30 septembre 1991, monsieur Jovenel Moïse prend la responsabilité de nommer un « haut état-major » composé des personnes au passé sulfureux, dont le colonel Jean Robert Gabriel, militaire tortionnaire, jugé par contumace au procès du massacre de Raboteau, aux Gonaïves, le 16 novembre 2000 », selon cette note de presse.
« L’administration Moïse/Lafontant, notamment le soi-disant ministre de la Défense, Monsieur Hervé Denis, ne peut prétexter ignorance du jugement et de la condamnation par contumace du colonel Jean Robert Gabriel, puisque ledit jugement a été publié dans les colonnes du journal officiel de la République, Le Moniteur du jeudi 23 novembre 2000, 155e année, numéro 92 », lit-on dans la note signée par Me Mario Joseph pour le BAI.
« Par-dessus la justice, l’administration Moïse/Lafontant se solidarise avec le colonel criminel alors que, par l’effet de sa condamnation par contumace, ce dernier perd la jouissance de ses droits civils et politiques (article 364 du Code d’instruction criminelle annoté par Jean Vandal) », a indiqué la note de presse du BAI. « Le BAI rappelle que, par application de l’article 372 du Code d’instruction criminelle annoté par Jean Vandal, le contumace ne bénéficie d’aucun droit de recours : « Le recours en cassation ne sera ouvert contre les jugements de contumace qu’au ministère public et à la partie civile, en ce qui la regarde», selon cette note de presse.
« Cette nomination vient confirmer une fois de plus que les forces armées remobilisées par le pouvoir Tèt Kale est bien une milice dont la mission cachée est de faire revivre au peuple haïtien les heures les plus sombres du duvaliérisme sanguinaire : 1. Arrestations illégales ; 2. Détentions arbitraires ; 3. Torture de détenus ; 4. Disparition forcée de citoyens ; 5. Assassinat d’Etat ; 6. Exil de masse. Le BAI souligne à l’attention de l’opinion publique que l’Administration Alexandre/Latortue, dans un faire semblant du respect de la légalité, avait exigé du chef tortionnaire exécutif de la milice FRAPH, Louis Jodel Chamblain, de se constituer prisonnier avant d’avoir été jugé par un « tribunal à Port-au-Prince » monté pour les besoins de la cause.
« Le BAI considère que l’Administration Moïse/Lafontant est dans l’obligation de remettre à la justice le colonel criminel pour qu’il puisse répondre de ses actes, ne serait-ce que pour cacher sa volonté de restaurer la barbarie militaire au mépris des droits légitimes du peuple haïtien, en particulier ceux des victimes nombreuses et innocentes du coup d’Etat du 30 septembre 1991 », a indiqué la note de presse.
Il était temps
La nomination de l’état-Major « aurait dû être fait depuis 2012 ». « La question est sur le tapis depuis 2012. On a trainé, trainé, trainé et finalement ça a eu lieu en 2018, mieux vaut tard que jamais », a confié au journal le docteur Georges Michel.
Interrogé par le journal, une source a indiqué que la promotion dont est issue Jodel Lesage et les autres membres de l’actuel état-Major a été recrutée sur concours, pas par cooptation, comme cela a été le cas de la promotion de Raoul Cédras. Il y a eu un consensus au niveau des nouvelles instances de décision d’écarter les membres de cette promotion jugée « trop politisée », a expliqué cette source qui a pris la défense de Jean Robert Gabriel, indexé par le BAI. « C’est un monsieur qui faisait purement son travail au cabinet de Cédras. Jean Robert Gabriel n’a pas de sang sur les mains. Il était secrétaire de l’état-major. Le procès de Raboteau n’est pas un procès correct, c’est un procès politique. C’est un procès qui avait été contesté », a soutenu cette source interrogée par le journal.
Quand les USA utilisaient l’arme des sanctions économiques ciblées contre des militaires putchistes
Les membres de ce nouvel état-major, comme plus de 500 militaires des FAD’H, étaient l’objet de sanctions économiques décidées par l’administration de Bill Clinton et consignées dans le volume 59, numéro 67 du jeudi 7 avril 1994 du bureau du contrôle des biens du département du Trésor des Etats-Unis d’Amérique, dirigé à l’époque par R. Richard Newcomb. L’actuel chef d’état-major, Jodel Lessage, à l’époque colonel, selon la liste du département du Trésor américain, Sadrac Saintil, colonel, Jean Jonas, colonel, Gabriel Jean Robert, colonel, Guerrier Derby, lieutenant colonel, Thomas Jacques Joseph, Thomas Jacques Joseph, major, Beaubien Fontane, Major, ne pouvaient pas faire de transactions financières aux Etats-Unis et leurs avoirs, si ces personnes en avaient aux Etats-Unis, étaient aussi gelés. Pour une ou plusieurs raisons, a expliqué la décision des autorités américaines à l’époque.
Ces personnes se sont accaparées illégalement du pouvoir du gouvernement démocratiquement élu du président Jean Bertrand Aristide le 30 septembre 1991 ou depuis le 4 octobre 1991, agissant directement ou indirectement aux noms ou sous l’autorité de personnes, d’agences instrumentalisées ou entités supportant le régime « de facto », inconstitutionnel, disaient les motifs de la décision américaine.
Ces personnes tombées sous le coup de ces sanctions, avaient estimé les autorités américaines, ont fourni une contribution financière ou matérielle au régime « de facto » ou ont fait des affaires avec ce régime. Elles ont contribué à empêcher l’application des résolutions 841 et 873 du Conseil de sécurité de l’ONU, l’accord de Governors Island du 3 juillet 1993 ou les activités de la Mission des Nations unies en Haïti. Le justificatif de ces sanctions avait indiqué que ces personnes ont perpétuer ou contribué à perpétué des actes de violence en Haïti.
Le président Jovenel Moïse, le nez dans le guidon, sourd aux réserves des USA estimant qu’une armée sans mission est un atelier de démons, a franchi un nouveau cap avec la nomination de l’état-major, quatre mois après la parade militaire des nouveaux militaires, à Vertières, le 18 novembre dernier. Pour lui, le pays a besoin d’une armée de métier, impliquée dans des tâches de développement et de protection civile. On ne sait pas encore s’il pourra faire une nouvelle armée avec les vieux fraichement nommés à l’état-major des FADH.
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Source/Le Nouvelliste
Photo/Archives
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