PORT-AU-PRINCE – « Le programme Ede pèp a été un vaste gaspillage de fonds publics », a affirmé le second rapport de la CSC/CA sur la gestion du fonds PetroCaribe remis au Sénat, vendredi 31 mai 2019. La CSC/CA a enfoncé le clou en soulignant avoir « décelé des indices concordants de malversation financière d’une partie des fonds censés être alloués aux bénéficiaires du volet transfert d’argent et notamment les projets Ti Manman Cheri (TMC), Kore Etidyan, Bon Dijans/ Bon de solidarité et Kore Moun Andikape ». Tout ce gaspillage a été orchestré au nom de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale au détriment des populations les plus vulnérables censées être les bénéficiaires du programme », a poursuivi le rapport de la CSC/CA, qui conteste des données communiquées par le Fonds d’assistance économique et sociale FAES qui exécutaient certains projets de ce programme social.
« A titre d’exemple, le tableau 9 ci-dessous indique que le montant total injecté et reçu directement des bénéficiaires TMC entre 2012 et 2016 s’élève à 579 986 600 HTG. Ce chiffre ne correspond pas à la réalité. En effet, selon les données compilées par la Cour sur la base des factures et ordres de virement obtenus du FAES, le montant payé aux mamans correspond plutôt à 211 791 800 HTG. Il y a donc un écart d’environ 368 194 800 HTG qui confirme que les chiffres des paiements aux bénéficiaires présentés par le FAES sont trompeurs et ne reflètent pas la réalité », lit-on dans ce rapport.
« En ce qui concerne le projet Ti Manman Cheri, la Cour note que 17 360 particuliers inscrits n’ont pas de numéro de téléphone. Les rapports d’activité produits par le FAES indiquent pourtant que 97 106 bénéficiaires TMC ont été payés au cours de l’exercice 2012-2013 et 86 234 bénéficiaires ont été payés en 2013-2014. Considérant que seulement 81 245 inscrits sont identifiés avec un numéro de téléphone, alors il en découle qu’il y a eu 15 861 bénéficiaires fictifs en 2012-2013 et 4 989 bénéficiaires fictifs en 2013-2014 qui ont été payés », selon la CSC/CA.
« Sachant que le transfert d’argent mensuel est fait sur le numéro de téléphone de chaque participant et que la somme allouée à chaque maman dépendait du nombre d’enfants à raison de 400 HTG (1 enfant), 600 HTG (2 enfants) et 800 HTG (3 enfants), alors la Cour peut raisonnablement évaluer le préjudice », a indiqué la Cour en posant des hypothèses.
« Un autre exemple parlant est relatif au projet Bon de solidarité / Bon Dijans. Le tableau 10 ci-dessous indique les paiements faits aux bénéficiaires selon le FAES. Or, ces chiffres ne correspondent pas à la réalité. En effet, la Cour a fait le constat que, sur un total de 273 909 bénéficiaires inscrits, 122 387 d’entre eux n’avaient pas de numéro de téléphone. Dans ces conditions, si on suit la logique du tableau 10, c’est donc au total 217 183 (151 522 + 55 823 + 9 838) bénéficiaires qui auraient été payés au lieu des 277 940 allégués par le FAES. Il y a donc 60 757 bénéficiaires fictifs. Sachant que chaque « bon de solidarité » donnait droit à 500 HTG, la Cour estime le préjudice à 30 378 500 HTG », a indiqué le rapport.
Un des volets du projet Cantine Mobile était le concept « Resto Pèp » consistant à vendre des plats chauds de Kantin Mobil au prix subventionné de 10 gourdes le plat par les communautés elles-mêmes. Selon les rapports d’activité produits par le FAES, au total 653 000 plats chauds ont été vendus, ce qui représente un chiffre d’affaires de 6 530 000 HTG. La Cour n’a obtenu aucune évidence sur l’utilisation de ces fonds », lit-on dans ce rapport qui a évoqué « Kach Transfè ».
« La composante Ede pèp la plus exposée au risque de malversation avait trait au volet transfert monétaire « Kach Transfè » représentant 59% de l’enveloppe budgétaire allouée au programme. A cet égard, la Cour se questionne sur la conformité du canal utilisé pour transférer des fonds publics à des particuliers en rapport avec les lois de la République. La Cour considère que le mécanisme de transfert d’argent électronique aux bénéficiaires du programme Ede pèp via la plateforme de service mobile financier n’était pas le moyen idéal car, non seulement il ne garantissait pas les conditions de transparence absolue, mais aussi il n’apparaît pas logique d’exiger à une catégorie de la population vivant dans des conditions de pauvreté extrême de disposer d’un téléphone cellulaire afin d’être éligible au programme. Ce critère à lui seul introduit un élément de sélectivité qui a contribué à éliminer de potentiels bénéficiaires. De plus, une analyse coût-bénéfice permet de comprendre qu’il était discriminatoire de demander à une personne qui va recevoir par exemple 400 HTG par mois sur une période de neuf (9) mois, de se procurer un téléphone cellulaire qui coûte beaucoup plus cher que l’allocation mensuelle promise », lit-on dans ce rapport qui a fait des recommandations.
La Cour recommande que le FAES renforce son dispositif de contrôle interne afin d’éviter les dérapages comme ceux constatés dans le présent rapport. Cette mesure passe par l’implantation d’une fonction d’audit interne indépendante capable de jouer le rôle de chien de garde afin de prévenir et détecter les risques de fraudes et surtout donner régulièrement l’assurance au conseil d’administration que les processus de gouvernance, de contrôle et de management des risques fonctionnent en toute efficacité. Elle recommande que tous les ministères ayant délégué la gestion de certains programmes se dotent de mécanismes permettant d’exercer une surveillance accrue sur l’utilisation des ressources mises à la disposition du FAES afin d’améliorer le suivi et la reddition de comptes. Enfin, la CSC/CA a recommandé que les “autorités compétentes diligentent une enquête afin de déterminer s’il y a matière à poursuite pour des irrégularités ayant causé préjudice à la communauté”.
Source/Le Nouvelliste
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