PORT-AU-PRINCE – Les gangs, ceux du G-9 en majorité, ont mis en déroute les agents de la Police nationale d’Haïti (PNH) dans un bassin de population et d’entreprises qui s’étend sur des centaines d’hectares. Après avoir craché le feu de l’enfer, leur chef, Barbecue, a donné le signal du “dechoukay”.

Le long d’un tracé de plus de dix kilomètres, entre Martissant et Zorange et au moins 3 kilomètres à l’intérieur des terres, les gangs, en majorité ceux du G-9, ont resserré l’étau autour des entrepôts, des usines, des ports et au moins d’un des deux terminaux pétroliers du pays, à Varreux.

Il y a deux semaines, au cœur de ce périmètre, à Cité Soleil, ces gangs ont renversé toutes les antennes de la Police nationale d’Haïti, de Duvivier au carrefour Hasco. Tel un cancer en métastase, les bandits s’étendent, rognent presque tout le centre commercial du vieux Port-au-Prince. Ils ont enveloppé bas Delmas et Bel-Air. À Bel-Air, quartier emblématique, Krache Dife, membre de G-9, a pratiqué la politique de la terre brûlée, tels des dragons acharnés. Les atrocités sont devenues des faits divers.

Dans ce bassin de population et d’entreprises qui s’étend sur des centaines d’hectares, c’est la loi du plus fort qui prévaut. En début de semaine, la route de l’aéroport, où il y a une forte concentration de concessionnaires de véhicules, de succursales de banques commerciales et d’entreprises, a subi les coups de boutoir des gangs. Leur chef, Jimmy Chérizier, alias Barbecue, avait donné le signal du dechoukay sur les réseaux sociaux. La maison Behrmann Motors a été attaquée. Le show-room de ce concessionnaire installé à Port-au-Prince depuis plus d’un demi-siècle a été criblé de balles.

Ce vendredi, vingt-quatre heures après la mort par balle d’un policier de l’Unité départementale de maintien d’ordre (UDMO), à Delmas 6, sur les terres de Barbecue, d’autres verrous ont sauté, un autre cap a été franchi. Les entrepôts de Marché Ti Tony, au carrefour Hasco, ont été pillés. Les images de pilleurs pieds nus, à moto, transportant des produits alimentaires ont fait le tour des réseaux sociaux. D’autres entrepôts sont dans le viseur des pilleurs.

La chronique de ce chaos qui continue de prendre corps dans ces territoires en guerre s’écrit aussi dans les hôpitaux. M. G, allongée sur son lit à la salle des urgences de l’ Hôpital de l’université d’État d’Haïti (HUEH), a le pied gauche bandé. « La même balle m’a transpercé la main gauche et endommagé mon genou gauche », a-t-elle confié au journal Le Nouvelliste, vendredi 18 juin, au matin. Les faits se sont produits il y a quatre jours, le 14 juin, dans les hauteurs de la 5e avenue Bolosse. Ce sont les hommes de Krisla qui ont frappé, en représailles, dans le fief de Ti Lapli.

D’autres morts et plusieurs blessés sont également enregistrés. « J’ai vu des hommes et des femmes touchés à la tête, au dos », a-t-elle rapporté, en attendant de se faire opérer. Attendant elle aussi son opération, Louzi Célène, 51 ans, originaire de Jérémie, grimace de douleur. Hier, jeudi, elle a reçu une balle au dos, presque à l’omoplate droite. « Je me démène. Je vends du citron, des feuilles. J’ai été touchée à Martissant 7», a indiqué Louzi Célène sous les yeux inquiets de deux de ses quatre enfants. En face de cette salle de consultation d’urgence de cet hôpital, il y a un sourd-muet. Il a été atteint d’une balle à la cheville droite. De l’autre côté, à la salle post-opératoire, une autre victime, une autre femme, hurle de douleur. Elle a été touchée par balle non loin du Marché en fer. Son lit, en face de la porte d’un préfabriqué qui tombe en lambeaux, est entouré de ses proches, dont sa mère, rongée par l’inquiétude.

Depuis le début du mois de juin, a confié off the record un résident en chirurgie, on a reçu une cinquantaine de plaies par balle. «Plus de 80% des cas viennent de Martissant. Les patients sont majoritairement jeunes, dont certains de conditions économiques précaires, pour certains», poursuit ce résident en chirurgie.

Interrogé sur l’évolution des cas, un interne en chirurgie dénombre une quinzaine de morts.

«Parmi eux, plus de 60% sont morts avant d’entrer en salle d’opération. Cela traduit tout simplement la gravité des dégâts qui résultent de ce drame à Martissant», précise cet interne, qui souligne dans la foulée que ces plaies par balle ont un grand impact sur tous les services chirurgicaux, empêchant les chirurgiens d’opérer à temps certains cas graves. Tous les malades n’arrivent pas en chirurgie, a confié un autre chirurgien de l’hôpital. Bernard Mevs, l’autre hôpital de Port-au-Prince où l’on achemine les blessés graves, a enregistré une « nette augmentation des plaies par balle ». « Ces trois derniers jours, il y a une nette augmentation des plaies par balle. Nous avons reçu 7 cas, dont 3 viennent de Fontamara, quartier limitrophe de Martissant », a confié cette source.

Aux abords de ces zones de non-droit, la vie grouille. Le petit commerce s’adapte, trouve sa place. L’estomac dans les talons, l’ouïe affutée, hommes et femmes sont habitués à ces « kouri » provoqués par les rafales d’armes automatiques. Ils s’accrochent, vivent, survivent, entre-temps le président Jovenel Moïse en voyage en Turquie, comme le Premier ministre a.i., Claude Joseph, en ballade à New York où il a participé jeudi à une réunion du Conseil de sécurité sur Haïti.

Nos chefs vendent un Haïti qui n’existe pas, qu’ils présentent comme le pays d’Alice…

Source/Le Nouvelliste
Photo/Archives
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