De violentes échauffourées et des pillages ont éclaté lundi soir dans la petite ville américaine de Ferguson, après la décision d’un grand jury populaire de ne pas poursuivre un policier blanc qui a tué cet été un jeune Noir sans arme. «Pas de justice, pas de paix», ont scandé des manifestants en colère après l’exonération du policier Darren Wilson, malgré les appels au calme lancés par le président, Barack Obama, et la famille du jeune Noir Michael Brown.
«Arrêtez de lancer des pierres», a crié un membre des forces de l’ordre à l’adresse des manifestants massés dans les rues de Ferguson. Des vitrines étaient brisées et les nombreuses caméras de télévision montraient des voitures en feu dans cette banlieue de Saint Louis, où de graves émeutes raciales avaient déjà éclaté en août après la mort de Michael Brown, abattu en plein jour de six balles par un policier.
Protégés de casques à visière et de gilets pare-balle, les policiers ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestants, a constaté l’AFP. La police a fait également état de plusieurs scènes de pillages au nord de cette banlieue de Saint Louis.
Lors d’une conférence de presse, le chef de la police du comté de Saint Louis, John Belmar, a fait savoir que 29 manifestants ont été arrêtés à l’issue de ces violences, et que la police a été la cible de nombreux tirs. Une douzaine d’immeubles ont été incendiés.
Après trois mois de délibérations, le procureur du comté de Saint Louis a annoncé que l’agent de police ne serait pas inculpé, comme l’espérait la communauté noire. «Le devoir d’un grand jury est de séparer les faits de la fiction», a déclaré à la presse le procureur Robert McCulloch, les jurés «ont déterminé qu’il n’y [avait] pas de raison suffisante d’intenter des poursuites contre l’officier Wilson».
«Il n’y a pas de doute que l’agent Wilson a causé la mort» de Michael Brown, 18 ans, a déclaré le procureur, parlant de «décès tragique». Mais les douze jurés, neuf Blancs et trois Noirs, ont mené une instruction «complète et profonde», entendu une soixantaine de témoins soixante-dix heures durant, examiné des centaines de photos et d’éléments à charge et écouté trois médecins légistes.
Manifestations à travers les Etats-Unis
Peu après l’annonce de la décision, le président Obama et la famille de Michael Brown ont exhorté la foule à manifester dans le calme et à la police de faire preuve de «retenue». Dans son message, le président Obama a d’ailleurs mis en garde contre la tentation de «dissimuler les problèmes» liés au racisme aux Etats-Unis. «Dans trop de régions du pays, il existe une profonde défiance entre les forces de l’ordre et les communautés de couleur», a-t-il souligné.
Mais les appels au calme n’ont pas empêché la tenue de manifestations dans diverses villes des Etats-Unis, notamment à Times Square à New York mais aussi dans la capitale fédérale. Des milliers de personnes ont protesté contre, selon eux, ce déni de justice. Devant la Maison Blanche, la foule brandissait des pancartes réclamant «Justice pour Mike Brown» et scandant «Les mains en l’air, ne tirez-pas».
D’autres cortèges de colère ont été recensés à Seattle, Los Angeles, ou encore Chicago. Des manifestations – largement préparées à l’avance, tant la décision du grand jury s’est faite attendre – ont également eu lieu à Boston, Philadelphie, Denver, Oakland (Californie), où des manifestants ont bloqué une autoroute, ou même Salt Lake City : dans les premières heures, aucun incident grave n’a été signalé en dépit de la tension.
Des contestataires arrêtés
Deux manifestants ont été arrêtés à New York lors des protestations qui ont suivi la décision de ne pas inculper un policier blanc ayant tué en août dernier un adolescent noir à Ferguson, a-t-on appris mardi de la police. Le premier a été arrêté à Times square après avoir lancé de la peinture rouge sur le chef de la police Bill Bratton et ses gardes du corps vers 22h30 lundi soir (4h30 en France ce mardi). La peinture avait notamment atteint le commissaire Bratton au visage. Le suspect, Diego Ibanez, 26 ans, a été notamment accusé d’agression contre un officier de police, acte délictueux, trouble à l’ordre public, harcèlement et mise en danger d’autrui.
La deuxième arrestation a eu lieu sur une rampe d’accès du Triborough bridge, où s’étaient rassemblés certains manifestants après minuit, quand un homme de 30 ans, non identifié, a lancé une canette vide contre un policier, le blessant légèrement à la tête. Une dispute a suivi quand le policier a cherché à l’arrêter, et le policier a été légèrement blessé au genou. L’homme arrêté a également été légèrement blessé. Aucune charge n’avait encore été prononcée contre lui mardi matin, selon la police.
L’enquête fédérale se poursuit
Parallèlement, l’enquête fédérale se poursuit, «elle est indépendante de l’enquête locale depuis le début et le restera», a déclaré le ministre de la Justice Eric Holder, prévenant que les autorités fédérales se garderaient de tirer des «conclusions hâtives». La famille du jeune Noir s’est dit «profondément déçue que le tueur de notre enfant ne soit pas confronté aux conséquences de ses actions».
Le gouverneur du Missouri Jay Nixon avait décrété l’état d’urgence, déployé la garde nationale et renforcé les effectifs de police en prévision de possibles échauffourées. Le risque était grand tant la mort du jeune homme avait réveillé le spectre du racisme aux Etats-Unis et éclairé de manière très crue les relations très tendue dans cette ville à majorité noire où policiers et édiles sont quasiment tous blancs.
Le jeune Noir de 18 ans -qui n’était pas armé- a été tué par Darren Wilson en plein jour dans une rue de Ferguson le 9 août d’au moins six balles. Le corps du jeune homme avait été laissé à la vue des passants pendant plusieurs heures, en plein soleil, ajoutant à la colère des manifestants qui y ont vu un signe de plus du mépris des forces de l’ordre pour la population noire.
Une vingtaine de minutes avant cette confrontation, Michael Brown avait été filmé dans une supérette en train de voler une boîte de cigarillos.
Les mains en l’air
Retraçant dans le détail le déroulé des incidents qui ont conduit à la mort du jeune homme, le procureur a expliqué que plusieurs témoins oculaires s’étaient rétractés devant le grand jury ou que leur récit n’était pas compatible avec les prélèvements matériels.
Le jeune Noir a été touché «à six ou sept reprises», la plupart des témoins affirmant que les coups de feu ont été tirés alors qu’il s’avançait vers le policier. Et si certains témoins ont maintenu que Michael Brown avait les mains en l’air, «plusieurs» ont dit qu’il ne les avait pas levées ou seulement brièvement, selon le procureur. Le procureur a annoncé que la quasi-totalité des éléments examinés par les jurés seraient publiés.
La mort de Michael Brown avait provoqué des émeutes violentes cet été, au point qu’un couvre-feu avait été imposé plusieurs jours à Ferguson. De nombreux commerçants et entreprises de Ferguson ont placardé leurs devantures avec de grands panneaux de bois et plusieurs écoles ont avancé le long week-end de la fête de Thanksgiving jeudi en fermant leurs portes toute cette semaine.
Source/Libération
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