PORT-AU-PRINCE – Les sociétés dans tous les pays du monde partagent une constante qui se caractérise par l’emprise, non régulée d’une instance de décision et de contrôle souvent subtile, sur la gouvernance socio-politique et surtout économique. Il s’agit d’un système de gouvernance qui ne dit pas son nom, et dont les tenants contrôlent l’ordre établi et concentrent les pouvoirs publics entre leurs mains et dans les structures qu’ils mettent en place pour maintenir le statu quo. C’est ce qu’il convient d’appeler l’Establishment qui comprend un ensemble de notables ou d’acteurs dominants dont la vision et les actions pèsent très lourdement sur les décisions et l’orientation de l’État ou de la société.
Rien ne doit échapper à l’Establishment, car il est soit le gardien bienveillant de la nation, soit une mafia d’État, étant entendu que cette dernière contrôle les pouvoirs d’État ou exerce même des fonctions dévolues aux pouvoirs publics. Mais l’Establishment n’a pas forcément un comportement répréhensible ou une connotation négative. Dans certains cas, c’est lui qui freine la frénésie du pouvoir (officiel) pour éviter des dérives susceptibles de mettre à mal les grands chantiers d’un pays, dans d’autres, il est pourfendeur de la société, ne défendant que des intérêts immédiats et mesquins, et cela de manière permanente.
Il est donc tout à fait explicable que depuis le départ des Duvalier, les Chefs d’État ou de gouvernement qui se sont succédé au pouvoir, hormis deux d’entre eux, se sont toujours accommodés des exigences de l’Establishment pour éviter de se faire évincer.
Le premier Chef d’État haïtien ayant ouvertement bravé et défié l’Establishment répond au nom de Jean Bertrand Aristide, lors de son premier mandat de 5 ans, débuté en 1991, et brutalement interrompu sept (7) mois plus tard par un coup d’État sanglant, financé par de gros intérêts économiques et entériné par une frange puissante de la communauté internationale, parce que l’ancien prêtre de Saint-Jean Bosco osait se dresser contre les tenants du système.
Après Jean-Bertrand Aristide (en 1991), le président Jovenel Moise est le seul à avoir osé remettre en question le pouvoir et les avantages indus revendiqués par certains ‘‘ayants-droit’’ du système en place. Et cet acte courageux est susceptible de lui coûter le pouvoir, sans excuser les failles et les errements inhérents à la gouvernance et au leadership de l’actuel locataire du palais national. Je vous donne la garantie que s’il acceptait, comme ses prédécesseurs, de se laisser faire et de tout donner aux maîtres du système, il aurait été considéré comme l’un des plus grands présidents d’Haïti. Et pour avoir été ministre, j’en sais certaines choses que je ne révélerai pas ici par obligation de réserve.
On a appris de sources officielles que des compagnies, appartenant à de grandes familles haïtiennes, auraient facturé des produits énergétiques non effectivement livrés à l’État, et le montant de ces ‘‘surfacturations’’ (qu’on devrait en effet considérer comme un vol flagrant) s’élève à des millions de dollars américains. Et les contrats passés entre les gouvernements d’alors et les compagnies SOGENER, dirigée par les Vorbe, et Epower, opérée par les Rouzier, comportent des clauses scandaleuses, et en parfaite inadéquation avec le code des investissements en vigueur, selon Nicolas Hervé Pierre-Louis, le directeur général de l’Électricité d’Haïti (ED’H).
Lors de sa conférence de presse, la semaine dernière, le président Jovenel Moise avait cité un certain nombre de contrats juteux ayant été résiliés par son administration puisque les intérêts de l’État et du peuple haïtien n’avaient pas été pris en compte. Et pour cause, en 2017, le sénat, alors présidé par Youri Latortue, avait pris une résolution pour demander la révision de ces contrats passés avec ces fournisseurs d’énergie.
Paradoxalement, ce sont ces mêmes éléments de l’Establishment qui prétendent vouloir changer ce système dont ils tiennent les rênes. Il est entendu que beaucoup d’haïtiens gagnent les rues pour crier leurs revendications légitimes, mais les opérateurs du système sont parvenus, et c’est un exploit extraordinaire, au moyen des ressources financières accumulées au détriment du peuple, à mobiliser ce même peuple contre ses propres intérêts. Incroyable mais vrai!
Aujourd’hui, ayons le courage de reconnaitre le courage de Jovenel Moise, peu importe l’issue de son bras de fer avec les forces de l’opposition exigeant sa démission, et admettons que les forces économiques rapaces qui s’acharnent contre lui et qui financent aujourd’hui des vagues d’insurrection contre sa présidence, sont surtout guidées par un appétit vorace pour les gains économiques et financiers notamment à travers des contrats léonins.
En d’autres termes, les tenants du système n’ont absolument aucun intérêt à contribuer au changement, voire à l’effondrement de leur propre système, si vrai que les seuls cas dans lesquels les maitres de l’Establishment avaient farouchement participé à des mouvements insurrectionnels contre un gouvernement établi, c’était sous les deux présidences d’Aristide. Dans les deux cas Aristide a été renversé ou contraint à la démission. Et la réédition d’un tel comportement est actuellement vécue sous la présidence de Jovenel Moise. Donc les sentiments d’aversion nourris par certains à l’égard de Jovenel Moise ne doivent pas contribuer à jeter une ombre sur le bienfondé de ses dénonciations et de ses actions dont la substance fera l’objet d’un autre texte.
Nous leurrer n’est pas une option. Tout en étant conscients qu’il n’existe aucun saint ni au palais national ni dans l’opposition, nous tous, Haïtiens et Haïtiennes, devons juger objectivement les acteurs et soupeser leurs actions pour mieux nous positionner sur la route du changement. Réveillons-nous et changeons le système pour de vrai!
Joseph Guyler C. Delva
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