PORT-AU-PRINCE – La requête de l’avocate de M. Philippe pour contester la compétence personnelle du tribunal repose sur l’une des deux exceptions à la Doctrine Ker-Frisbie. Selon cette doctrine, une fois qu’un accusé est amené devant un tribunal par les autorités américaines, ce tribunal dispose de la compétence personnelle pour entendre de toute affaire concernant cet accusé.
Cependant, la doctrine souffre deux exceptions. La première, c’est dans le cas où le gouvernement américain appréhende l’accusé dans un autre pays, en violation d’un traité d’extradition conclu entre les États-Unis et ce pays. La seconde exception, c’est dans le cas où, dans le cadre de l’arrestation, le comportement des agents américains est tellement scandaleux que le tribunal devrait se sentir interpellé à ne pas entendre l’affaire, sous peine de cautionner ce comportement.

C’est sur cette exception que l’avocate de M. Philippe, Me Zeljka Bozanic, fonde son argumentaire. Me. Bozanic entend faire croire au tribunal que M. Philippe a été kidnappé par les autorités américaines en Haïti, maltraité durant et après son arrestation, que l’un de ses agents de sécurité a reçu deux projectiles tirés par les agents américains sur place, et que, sur la base de la seconde exception à la Doctrine Ker-Frisbie, les faits qui ont conduit à l’arrestation de M. Philippe, ainsi que ceux qui l’ont suivie constituent un tel scandale que le tribunal se doit de refuser d’entendre l’affaire sous peine de cautionner le comportement scandaleux des agents américains.

Donc, il revenait aux avocats du gouvernement de contrer cet argument. Nous allons reproduire ici les arguments soumis par le gouvernement américain en réponse à la requête de la défense. Dans le cadre de cette requête responsive, nous reproduirons en primeur l’un des documents par lesquels le gouvernement haïtien a autorisé le transfert de M. Philippe aux autorités américaines. Extrait de l’argumentaire du gouvernement américain :

La requête de l’accusé est légalement et matériellement déficiente. La version des événements de l’accusé est en contradiction avec les informations fournies aux agents américains qui étaient sur le terrain au moment où les unités de lutte contre les stupéfiants de la Police Nationale d’Haïti exécutaient un mandat d’amener issu par un juge haïtien contre M. Philippe pour meurtre et tentative de meurtre. Moins d’une heure après que l’accusé a été arrêté à 4 :00 PM, les agents américains l’ont rencontré et sont restés avec lui jusqu’à son transfert vers les Etats-Unis aux environs de 10 :00 PM. Du moment de son arrestation jusqu’à son transfert en Floride, 6 heurs se sont écoulées, et durant 5 de ces 6 heures, l’accusé était soit dans un véhicule climatisé, soit dans un endroit gardé secret, aussi climatisé, ou dans un avion américain climatisé. Même si la version des faits de l’accusé était vraie, ni la Doctrine Ker-Frisbie, ni l’exception à cette doctrine créée par la Seconde Juridiction dans l’affaire United States v. Toscanino ne viendrait en aide à l’accusé. C’est une exception que la Onzième Juridiction n’a jamais adoptée.

Le 22 Novembre 2005, un grand jury indépendant a rendu une inculpation contenant trois chefs d’accusation contre M. Philippe : (1) complot pour importer des substances illégales aux Etats-Unis, complot pour conduire des transactions monétaires et financières avec des fonds provenant de l’importation de substances illégales aux Etats-Unis, implication dans une transaction monétaire excédant $10.000 provenant de l’importation de substances illégales aux Etats-Unis.

Après cette mise en accusation, l’accusé est demeuré un fugitif jusqu’à son arrestation le 5 Janvier 2017 en Haïti par la Police Haïtienne pour des faits qui lui sont reprochés en Haïti. Le mandant d’amener émanant des autorités haïtiennes (datant du 17 Mars 2016) se lit comme suit. (Note de la rédaction : Nous omettrons les informations relatives au tribunal et au juge ayant signé le mandat vu que les nerfs sont encore à fleur de peau sur ce dossier :

Le Commissaire du Gouvernement Près le Tribunal de Première Instance de … requiert le responsable du Commissariat de Police de…. de prendre les mesures nécessaires aux fins de rechercher, conduire et amener devant lui au parquet de ce ressort se (sic) conformant à la loi le nommé Guy Philippe demeurant et domicilié à … prévenu de Assassinat, tentative d’assassinat, vol d’arme à feu au préjudice de Tisson Jean-Louis, Dorléan Wendy, Dube Jean-Baptiste et l’Etat Haïtien et prévu et puni par les dispositions du code pénal en ses articles 241, 2, 324 et de CP (fin de la référence au mandat).

Aux environs de 3:53 PM, le 5 Janvier 2017, l’accusé a été appréhendé par l’Unité de Lutte Contre le Traffic des Stupéfiants de la Police Nationale d’Haïti (BLTS) à une station de radio de Pétion-Ville, banlieue de Port-au-Prince, Haïti. Les membres de la BLTS/PNH informèrent les agents américains que l’accusé était accompagné de 12 individus, dont au moins trois portaient des armes d’épaule. Les agents américains n’étaient pas présents sur la scène. Au moment où la BLTS/PNH procédait à l’arrestation de l’accusé, les individus qui étaient avec ce dernier, dont ceux portant les armes d’épaule, commencèrent à s’approcher des policiers. A ce moment-là, l’un des policiers tira en l’air par mesure de sécurité. Il était le seul à avoir tiré ce jour-là. Immédiatement après les coups de feu, un superviseur de la BLTS cria : ‘’Zéro’’, ce qui est un code par lequel il commandait à son équipe de ne pas tirer. Il n’y a pas eu de coups de feu additionnels après cet ordre.

Tous les individus qui accompagnaient l’accusé, dont les trois hommes armés, prirent la fuite et laissèrent l’accusé tout seul. Il était évident pour les agents de la BLTS que les coups de feu n’avaient fait aucun blessé. Les agents de la BLTS/PNH mirent l’accusé dans une Chevrolet Suburban et le transportèrent à la Direction Centrale de la Police Judiciaire située tout près de l’Ambassade Américaine et l’Aéroport International de Port-au-Prince qui sont à environ 8.9 kilomètres l’une de l’autre. L’accusé n’a été, à aucun moment de la durée, cagoulé.

Aux environs de 4 :25 PM, l’accusé arriva à la DCPJ sous escorte policière. A ce moment-là, alors qu’il était toujours détenu par la police haïtienne, l’accusé était aussi en présence d’agents américains. Ces agents observèrent que l’accusé n’avait pas été maltraité suite à son arrestation aux environs de 4 :35 PM, le 5 Janvier 2017. Il n’a pas été maltraité non plus pendant sa détention par les autorités américaines. Alors qu’il était à la DCPJ, l’accusé a eu une conversation avec un sénateur haïtien, et a dû être déplacé parce qu’une foule s’agglutinait autour de la DCPJ.

Aux environs de 5:00 PM, l’accusé fut transporté dans une Chevrolet Suburban climatisée pendant environ une heure, en compagnie d’agents de la BLTS alors que des agents américains suivaient de près. La Chevrolet resta dans la zone de la DCPJ, roula sans destination fixe par mesure de sécurité. L’accusé n’était pas cagoulé pendant cette navette.

Aux environs de 7:00 PM, l’accusé arriva dans un endroit secret, toujours détenu par des agents de la BLTS, et en présence d’agents américains. Pendant le court séjour de l’accusé dans cet endroit secret, il se passa ce qui suit : l’accusé confia à un agent américain qu’il avait faim. On lui donna une barre de céréales (granola bar) et de l’eau ; On demanda à l’accusé s’il allait bien, et il répondit par l’affirmative. Un infirmier examina l’accusé et ne remarqua aucune blessure. L’accusé dit à l’infirmier qu’il n’avait aucun souci de santé à ce moment-là. L’accusé plaisantait avec les agents américains au cours de cette période d’attente. L’accusé demeura à cet endroit secret jusqu’aux environs de 9:15 PM, dans une salle climatisée.

Aux environs de 9 :17 PM, les agents haïtiens et américains quittèrent les lieux en direction de l’aéroport international de Port-au-Prince. Aux environs de 9:40 PM, la Police Nationale d’Haïti remit l’accusé aux autorités américaines et l’accusé quitta Haïti dans un avion en direction de la Floride.

Suite à son arrestation, l’accusé fut remis aux autorités de la DEA américaine à Port-au-Prince sur la base de l’autorité investie dans la DCPJ par le Ministre Haïtien de la Justice, comme le reflète cette lettre en date du 5 Janvier 2017…

Nous nous garderons, comme d’habitude, de nous prononcer sur le mérite des arguments de l’une ou l’autre des parties. Le tribunal rendra sa décision sous peu sur ces deux requêtes contradictoires. Si les juges trouvent que l’avocate de M. Philippe a raison, M. Philippe rentrera chez lui. Dans le cas contraire, le tribunal considèrera une autre requête en dessaisissement soumise par la défense sur d’autres bases. Si aucune des requêtes de la défense n’arrive à convaincre le tribunal de se dessaisir de l’affaire, le procès aura lieu le 3 Avril prochain. Dans notre prochain article sur la question, nous analyserons l’autre requête en dessaisissement soumise par la défense.

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Source/Le National
Photo/Le National/Archives
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