ANSE À PITRE – Des femmes enceintes et de jeunes enfants, dont beaucoup ont été déchus de leur nationalité dominicaine avant d’être expulsés vers Haïti de l’autre côté de le frontière, vivent actuellement dans des conditions déplorables, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces personnes font partie des milliers de Dominicains d’origine haïtienne qui, à partir du milieu de l’année 2015, ont été forcés à quitter leur pays de naissance, notamment par le biais de déportations sommaires et abusives menées par le gouvernement dominicain.

« Non seulement de nombreuses personnes ont été privées de leur droit à la nationalité, mais elles ne reçoivent pas non plus l’assistance dont elles ont désespérément besoin », a déclaré Skye Wheeler, chercheuse sur les situations d’urgence auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Ni le gouvernement d’Haïti ni celui de la République dominicaine ne porte assistance aux individus les plus vulnérables parmi ces personnes qui se retrouvent sans papiers. »

Depuis la mi-2015 jusqu’au 3 novembre 2016, presque 150 000 migrants, soit des Haïtiens soit des Dominicains d’origine haïtienne, sont entrés sur le territoire haïtien, selon l’estimation de l’Organisation internationale pour les migrations.

Non seulement de nombreuses personnes ont été privées de leur droit à la nationalité, mais elles ne reçoivent pas non plus l’assistance dont elles ont désespérément besoin. Ni le gouvernement d’Haïti ni celui de la République dominicaine ne porte assistance aux individus les plus vulnérables parmi ces personnes qui se retrouvent sans papiers.
Après la décision judiciaire de 2013 qui a rétroactivement déchu des dizaines de milliers de personnes de leur nationalité dominicaine, le gouvernement dominicain a suspendu les déportations le temps de prendre des mesures atténuant l’impact de ce jugement et d’enregistrer des personnes dont les papiers n’étaient pas en règle. Même si ces efforts de régularisation ont été émaillés de problèmes, et le gouvernement dominicain a repris les déportations vers Haïti en juillet 2015. Bien que certaines personnes expulsées fussent des migrants ne disposant pas d’argument juridique valable pour demeurer en République dominicaine, d’autres étaient des Dominicains d’origine haïtienne ; certains avaient fait l’objet d’une déportation sommaire, tandis que d’autres étaient partis en supposant que leur déportation était inévitable, en dépit de bases solides pour revendiquer le droit à la citoyenneté dominicaine.

Aucun gouvernement ni agence n’a effectué le suivi de l’endroit où la majorité de ces personnes ont échoué en Haïti. Cependant, au moins 3 000 des personnes les plus indigentes sont passées par les camps proches de la ville d’Anse-à-Pitres dans le sud d’Haïti, où beaucoup vivent encore, luttant pour trouver de quoi manger. Les gens y vivent dans des abris bricolés avec du carton et des bouts de vêtements. Même si l’Ouragan Matthew a davantage frappé d’autres régions d’Haïti, les abris de fortune de ces camps n’ont pas résisté à l’inondation due à la tempête du 4 octobre 2016.

Quant à l’accès à l’eau et à l’assainissement dans ces camps, des organisations non gouvernementales l’ont qualifié de « déplorable ». Pourtant les fonctionnaires locaux ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils n’avaient reçu aucune allocation supplémentaire du gouvernement central pour aider les résidents du camp.

En septembre, Human Rights Watch a visité les camps d’Anse-à-Pitres pour étudier l’accès aux soins de santé périnataux, comme cela avait déjà été fait pour d’autres camps d’Haïti. Human Rights Watch a mené des entretiens avec 18 femmes et jeunes filles qui étaient enceintes ou avaient accouché récemment. Il s’avère que beaucoup ne pouvaient pas payer, ni même accéder à des soins de santé basiques. Human Rights Watch a aussi questionné des travailleurs locaux de l’humanitaire, des fonctionnaires locaux, des responsables médicaux et des représentants d’ONG.

En 2015, Human Rights Watch a constaté que les efforts du gouvernement dominicain pour améliorer le jugement de 2013, même s’ils étaient positifs en principe, présentaient beaucoup de problèmes en pratique. Les Dominicains d’origine haïtienne qui sont désormais en Haïti – dont beaucoup d’enfants – n’ont pas sur eux les papiers pour prouver la nationalité qu’on leur a enlevée, et aucune voie claire ou accessible ne leur est offerte pour établir leurs droits légitimes à la citoyenneté dominicaine. Beaucoup se retrouvent donc apatrides, ce qui viole leur droit à la nationalité.

Le gouvernement haïtien, notamment la nouvelle administration mise en place à la suite des élections du 20 novembre, devrait s’intéresser au problème et annoncer clairement à ces personnes apatrides les options qui s’offrent à elles, d’une part pour rester en Haïti et obtenir la nationalité haïtienne, d’autre part préciser s’il peut tout de même protéger leur revendication de recouvrer la nationalité dominicaine. Le gouvernement haïtien devrait exprimer clairement son engagement en vue de faciliter chacune de ces deux options.

L’arrivée de milliers de personnes à Anse-à-Pitres a augmenté le besoin en ressources déjà peu abondantes, dans une région qui avait trop peu de nourriture disponible. Le gouvernement haïtien et les donateurs internationaux devraient trouver le moyen de répondre à ces besoins accrus, notamment en aidant à améliorer l’accès des femmes aux soins de santé reproductive, qui est plus difficile dans cette petite ville et dans les alentours, comparé à d’autres régions d’Haïti.

Les femmes interrogées ont expliqué qu’elles avaient dû soudoyer ou supplier des gardes dominicains pour qu’ils leur permettent de retraverser la frontière de la République dominicaine et d’accéder à des actes médicaux essentiels, comme des césariennes ou des échographies, qui ne sont pas disponibles dans la bourgade haïtienne. Par ailleurs, aucune d’entre elles ne dormait sous une moustiquaire, malgré le risque élevé de paludisme, particulièrement dangereux pour les femmes enceintes, et dorénavant celui de contracter le virus Zika, qui peut entraîner des malformations fœtales.

« Les femmes qu’on a forcées à quitter la République dominicaine nous ont dit à plusieurs reprises que chez elles, elles avaient un meilleur accès aux soins périnataux, » a déclaré Wheeler. « Presque toutes les femmes vivant dans les camps nous ont aussi dit qu’elles souffraient constamment de la faim, surtout quand elles étaient enceintes. »

Six des femmes interrogées par Human Rights Watch avaient été déportées par des agents dominicains d’une manière qui semble arbitraire. Elles ont relaté que les agents en uniforme, des services de l’immigration, supposent-elles, n’avaient pas fait le moindre effort pour déterminer si elles devaient vraiment être déportées, à part pour vérifier si elles avaient une carte d’identité ou un document de travail, et pour certaines, on ne leur a même pas demandé leur nom. Toutes ont été séparées de certains de leurs enfants pendant des jours ou des semaines après avoir traversé la frontière. Elles n’avaient aucune opportunité, aucun recours judiciaire, pour contester leur déportation devant un juge.

Le gouvernement haïtien et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), qui a un mandat pour s’occuper des apatrides aussi bien que des réfugiés, devraient mettre en place une assistance téléphonique ou des bureaux d’information accessibles pour les gens ayant besoin d’aide pour établir leur nationalité. Le gouvernement haïtien devrait travailler avec celui de République dominicaine pour normaliser les mouvements migratoires entre les deux pays. Les Haïtiens ont également besoin d’un accès fiable à leurs documents d’identité haïtiens.

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Source/Human Rights Watch
Photo/Archives
www.anmwe.com

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