PORT-AU-PRINCE — Des milliers de familles en Haïti qui dépendent de l’aide financière de proches ayant le statut de protection temporaire aux États-Unis sont sur les dents, alors que ces travailleurs risquent la déportation vers leur pays d’origine, déjà grandement affligé par le chômage.

«Beaucoup de gens n’ont pas d’emploi ici et arrivent à survivre avec les transferts d’argent de leurs proches aux États-Unis. [Les ressortissants] mènent un train de vie différent et cette décision pourrait affecter les familles en Haïti», estime Géralda Sainville, porte-parole du Groupe d’appui aux réfugiés et rapatriés (GARR), organisation basée à Port-au-Prince.

En novembre, l’administration Trump a mis fin au programme de résidence temporaire de 58 000 Haïtiens qui leur permettait de vivre et travailler aux États-Unis depuis le tremblement de terre survenu en 2010. Une véritable catastrophe pour Micheline Chery, dont la soeur s’est installée au pays de l’Oncle Sam il y a bientôt huit ans.

Depuis le séisme, cette mère monoparentale vit toujours dans une habitation de fortune construite dans les hauteurs de la capitale haïtienne. Une seule petite pièce où elle dort avec ses trois garçons, sa grande soeur et son filleul. «Mon mari m’a abandonnée, alors c’est moi qui dois nourrir mes garçons et payer l’école, affirme Mme Chery. Parfois, quand ça devient trop dur, j’appelle ma petite soeur pour qu’elle m’envoie 20 $». Une mince somme qui lui permet de scolariser ses enfants pour au moins un mois.

Il est inconcevable pour Mme Chery que sa soeur revienne en Haïti, alors qu’elle peine déjà à joindre les deux bouts aux États-Unis malgré son emploi. «Où va-t-elle vivre? Sa maison aussi a été détruite», s’interroge celle qui, malgré tout, tente d’obtenir un visa de séjour américain. Même si elle admet ne pas connaître les règles d’immigration au Canada, Mme Chery n’hésiterait pas à convaincre sa soeur d’y tenter sa chance si elle ne réussit pas à régulariser son statut aux États-Unis d’ici juillet 2019.

Projets de vie en suspens

Jean Bertrand Larame peut étudier en génie civil dans une université privée en Haïti seulement grâce à l’appui de sa mère, qui vit aux États-Unis. «Depuis l’annonce de l’administration américaine, elle est stressée. J’ai peur de ne plus pouvoir continuer. En attendant, je m’en remets à Dieu. Je vais continuer à prier», laisse-t-il tomber.

Le jeune trentenaire aborde rarement ce sujet délicat avec sa mère, tout comme l’emploi de ménagère qu’elle occuperait actuellement. Qu’a-t-elle l’intention de faire? Pour M. Larame, ce ne serait pas souhaitable qu’elle revienne en Haïti. Par ailleurs, elle ne lui a jamais parlé de l’intention de faire la traversée vers le Canada, comme ce fut le cas de milliers d’Haïtiens depuis cet été. «On n’a pas de proches là-bas, ce ne serait pas une bonne idée», considère l’étudiant.

Une option qu’écarte aussi Elizabeth Fabien, qui bénéficie du statut de protection temporaire aux États-Unis depuis l’expiration de son visa d’études. «Je suis planificatrice financière et je veux poursuivre mes rêves ici», explique-t-elle.

Sa mère, qui vit à Port-au-Prince, n’a qu’un seul espoir pour elle. «L’administration américaine pourrait accorder la résidence permanente à tous les Haïtiens qui ont ce statut. C’est un pays organisé. Ensuite, on mettra des balises pour empêcher les arrivées clandestines», suggère Marie-Claude Fabien, qui opère un restaurant et un petit hôtel dans la capitale. Cette dernière reconnaît que leur situation est loin d’être aussi «grave» que celle de nombreuses familles qui risquent d’être plongées dans la misère.

Haïti dépend de sa diaspora

Selon un récent rapport de la Banque mondiale sur les migrations et le développement, Haïti est le deuxième plus grand bénéficiaire des transferts d’argent de la diaspora, en pourcentage du produit intérieur brut. Depuis le début de l’année, ce montant est évalué à 2,4 milliards $, soit 31,2 % du PIB.

Environ 60 % de cette somme provient uniquement des États-Unis. Toutefois, sur le million d’Haïtiens vivant aux États-Unis, seulement 6 % d’entre eux sont visés par la décision de l’administration Trump, souligne l’économiste Etzer Emile, auteur du nouvel essai «Haïti a choisi de devenir un pays pauvre».

«La diaspora, c’est le pays», lance le politologue Fernando Estimé. Selon lui, ce drame économique pèse sur le faible budget de l’état haïtien, dont une grande partie est allouée à son propre fonctionnement. D’après le Forum économique du secteur privé, pas moins de 70 % de la population apte à travailler est au chômage.
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Source/Le Soleil
Photo/Archives
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