PORT-AU-PRINCE – Alors qu’il ne peut pas y avoir de loi sans un Parlement fonctionnel, le président de la République a annoncé que la prochaine « loi électorale » qu’il adoptera consacrera 35 circonscriptions exclusivement à des femmes. Jovenel Moïse entend donc, selon ses dires dimanche 8 mars dernier lors de la troisième édition du dialogue communautaire au Palais national, respecter les 30% de quota de femmes exigé par la Constitution dans les sphères de décision de l’Etat.

« Il n’y a pas de Parlement, le gouvernement et moi nous allons élaborer la loi électorale. Dans cette loi, 30% des circonscriptions seront réservées aux femmes. Le pouvoir vient de Dieu et Dieu vous a choisis pour donner le pouvoir », a fait savoir le chef de l’État en s’adressant à des femmes qui étaient venues l’écouter le 8 mars au Palais à l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme.

Sur les 118 circonscriptions, 35 seront exclusivement réservées aux femmes, a affirmé le président comme pour dire que la prochaine Chambre des députés aura au moins 35 femmes députées. « Ce sera la même chose pour les communes, les sections communales et les départements », a ajouté Jovenel Moïse.

Selon le chef de l’État, une telle loi n’aurait jamais joui du vote du Parlement. « À présent, c’est vous et moi qui qui allons prendre cette loi… », a-t-il précisé au public pendu à ses lèvres.

Pour Marie Laurence Jocelyn Lassègue, ancienne ministre à la Condition féminine, militante féministe de carrière, « si l’exécutif voulait respecter le quota, la première chose qu’il aurait fait serait d’ériger un cabinet ministériel avec les 30% de femmes… C’était la chose la plus élémentaire à faire d’abord et avant tout. L’actuel cabinet ministériel a violé la Constitution », a-t-elle confié au Nouvelliste.

En revanche, « nous ne saurions ne pas apprécier toute mesure visant à faire respecter la Constitution. Nous sommes 52%, la Constitution est claire, il faut au moins 30% des femmes dans tous les espaces de décision », a avancé la militante féministe.

Pour sa part, Vélina Élysée Charlier de l’organisation petrochallenger « Nou pap dòmi » a souligné au Nouvelliste que « le président n’a pas seulement annoncé que 30% des postes électifs seront exclusivement réservés aux femmes, il a aussi annoncé que c’est grâce à l’absence du Parlement qui aurait pu l’empêcher de prendre cette décision. Ce n’est guère rassurant. Nous sommes face à une énième mesure importante qui va souffrir de l’absence de légitimité du président et son mépris des institutions et des procédures », a-t-elle critiqué.

« De plus, a ajouté Madame Charlier, cette mesure n’est pas nouvelle et ne constitue point une décision du président en faveur des femmes. La Constitution amendée prévoit un quota de 30% de femmes, qui malheureusement, n’est pas appliqué. La mise en application de ce quota fait débat, c’est une cause que soutiennent de nombreuses organisations de femmes et elle ne saurait être traitée de manière arbitraire. Il ne revient pas au président de décider de façon unilatérale de cette mise en application au risque de tout galvauder comme d’habitude. »

« Faut-il encore rappeler au président que dans une démocratie tous les citoyens doivent avoir les mêmes opportunités, ce sans que marchandage ou démagogie ne soit fait de ce droit.
Soulignons que le cabinet du nouveau Premier ministre de facto ne respecte pas ce quota. Encore une fois, Jovenel Moïse et ses alliés ne prêchent pas par l’exemple et s’enfoncent dans la démagogie et la corruption », a critiqué la militante.

Par ailleurs, Vélina Élysée Charlier a indiqué que « la nation attend des réponses de la part du président sur des questions pressantes, urgentes et déterminantes comme la date de sa démission, la tenue du procès PetroCaribe, la prise en charge des revendications des policiers, etc. Le premier mandataire ne saurait se déroger à ses responsabilités en suivant un agenda hors-sol qui ne reflète que ses intérêts et ceux de certains groupes ».

Natacha Daciné, secrétaire générale adjointe aux affaires internationales du RDNP, a fait remarquer que dans la plupart des systèmes électoraux, des mesures antidiscriminatoires peuvent être temporairement adoptées pour accroitre la participation des femmes à la vie politique et compenser du coup l’inégalité de la représentation féminine dans ce secteur. Ces mesures-là sont souvent prises sous formes de quotas.

« IDEA International fait mention de trois catégories de quotas : 1) sièges réservés (constitutionnels et/ou législatifs) ; 2) quotas légaux de candidats (constitutionnels et/ou législatifs) ; 3) quotas adoptés par les partis politiques (volontaires). De ces 3 types de quotas, l’annonce du président se situe dans la première catégorie et a déjà été expérimentée dans plusieurs pays comme la Jordanie, le Ouganda, le Rwanda, etc. », a-t-elle expliqué.

« Je pense qu’au-delà de l’aspect théâtral teinté d’un autoritarisme voilé de la forme de cette déclaration, nous autres, hommes et femmes féministes, nous devons prendre le président au mot et le pousser à acter cette décision dans le décret électoral, si les forces politiques ne réussissent pas à l’éjecter du pouvoir, vu que cette annonce rentre en droite ligne avec l’article 17.1 de notre Constitution. Sinon cela risque de devenir une propagande au service du pouvoir à l’instar de celle sur l’électricité 24/24 », a affirmé Natacha Daciné.

Elle croit aussi que le chef de l’Etat d’abord devait commencer par respecter le quota de 30% exigé par la Constitution dans la formation du gouvernement.

Dans la dernière législature, la 50e, une seule sénatrice élue sur 30 et trois députées figuraient parmi les 117 à la Chambre basse. S’agissant des municipalités, le décret électoral de 2015 avait exigé des partis politiques la formation des cartels avec la présence d’au moins une femme.

Source/Le Nouvelliste
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