Kesner Pharel

PORT-AU-PRINCE – La décision de l’administration Moïse/Céant de ne pas percevoir de TCA sur l’importation de 60 000 tonnes métriques de riz de quatre importateurs en vue de stabiliser le prix du riz sur le marché haïtien a suscité plusieurs réactions. « Cette mesure est très court-termiste et n’apportera pas une solution soutenable », a estimé l’économiste Kesner Pharel, soulignant que « la meilleure façon de réduire les prix sur un marché est d’augmenter l’offre résultant de la production ».

« Une politique agricole supportant la filière rizicole pourrait atténuer le problème. Ceci dit, le gouvernement ne dispose pas du temps nécessaire pour respecter les engagements pris par le Premier ministre pour calmer les esprits après le “lockdown” du pays durant une dizaine de jours au cours du mois de février », a estimé Kesner Pharel.

« La méthode adoptée par le gouvernement ne se fera pas sans coûts. En premier lieu, la baisse de la taxe sur le chiffre d’affaires (TCA) causerait une baisse des recettes fiscales prévues à moins de 100 milliards de gourdes pour l’exercice fiscal en cours à cause de l’aggravation de la crise. En second lieu, l’augmentation des importations de riz devrait creuser le déficit de la balance commerciale. Le maintien de ces deux déficits ne permettra pas de réduire les tensions inflationnistes au niveau de l’économie. Le taux d’inflation, calculé en rythme annuel, a franchi la barre de 15% en décembre dernier et est resté au-dessus au cours du mois de janvier 2019 », a expliqué Kesner Pharel.

Pour le patron du Group Croissance, « des réformes structurelles s’avèrent nécessaires au niveau des finances publiques pour rendre la vie moins chère pour la population ». « Ceci ne pourra pas se faire du jour au lendemain », a-t-il prévenu. L’économiste Fritz Alphonse Jean a estimé que cette décision « tèt cho », hâtive, a été prise dans un contexte politique difficile. La panique est « toujours mauvaise conseillère », a-t-il poursuivi.

Pour cette administration qui prône la production nationale à travers la caravane, cette décision est qualifiée « d’impossibilité logique » , a indiqué l’ex-gouverneur de la BRH. « J’espère qu’au-delà des prises de positions à la va-vite, il y aura des dispositions visant à favoriser les producteurs locaux », a souhaité Fritz Alphonse Jean. Le président de la Chambre franco-haïtienne de commerce, Grégory Brandt, sur son compte Twitter a écrit : « Faut ajouter subvention diri !!! Deficit tèt dwat ap fè dola pran bon grès ». L’homme d’affaires a souligné qu’ajoutée aux subventions au pétrole, celle au riz provoquera l’appréciation du dollar par rapport à la gourde.

« La finalité est opportune mais la procédure choisie est en dehors de la loi vu qu’il est formellement prévu les modalités d’exemption des activités et d’exonération des contribuables. Nul ne peut déroger aux dispositions d’ordre public. Cependant, la déclaration d’état d’urgence économique offre ce biais qui facilite de telles dispositions. En effet, l’Etat n’a pas choisi d’importer directement, auquel cas le produit serait reçu en franchise de tous droits (droits de douane, TCA …). Selon cet accord, les droits de douane seront perçus à l’entrée de cette cargaison de riz en Haïti, exceptionnellement exempte de TCA. Alors, un tel accord aurait dû être renforcé par un engagement de respect des règles d’éthique par ces opérateurs, comme le veut la procédure de passation des marchés publics », a confié au journal le professeur Joseph Paillant, l’un des éminents fiscaliste haïtiens. “Dans l’accord, il n’est nullement dit que ces opérateurs pourront vendre le produit sans la TCA. Cela sous-entend que le Trésor Public ne perd pas.

L’Etat a uniquement reporté la collecte de la TCA sur la vente au lieu de la percevoir en deux temps : une partie lors de l’importation qu’on appelle TCA avancée ou récupérable et la balance lors de la vente du produit par l’importateur. Exemple : sur un prix de Gdes 100.00 en douane, l’importateur paie Gdes 10.00 de TCA qu’il récupère à la vente du produit. En vendant le produit au prix de Gdes 150.00 augmenté de 10/100 de TCA, l’importateur collecte Gdes 15.00 -10.00=Gdes 5.00 à payer au fisc. En définitive, si le produit est vendu avec la TCA, le fisc aura la totalité des Gdes 15.00 lors de la vente”, a expliqué Joseph Paillant.

« Si pour apaiser la tension dans les rues le gouvernement Moïse-Céant mise sur la baisse du prix des produits de base de la mangeaille, il risque gros dès le moyen terme avec le sursis exceptionnel d’une durée indéterminée accordé aux 4 importateurs de riz sur leurs chiffres d’affaires. Faire passer le prix du riz de 50 à 35 gourdes en un clin d’œil ferait du Premier ministre Jean-Henry Céant un habile prestidigitateur prêt à plonger le peuple dans l’illusion d’un soudain bien-être économique. L’annonce de ce tour de magie laissait présager une subvention indirecte du riz en octroyant la différence de 15 gourdes au vendeur pour garder sa marge de profit intacte avec le prix de 50 gourdes sur le marché local. Ce ne serait pas une trop grande inquiétude avec une éventuelle réallocation de la coupure de 30% du budget de la Primature ou d’autres lignes budgétaires, comme celles de la présidence et du Parlement évoquées », a confié au journal l’économiste Jean Poincy. «

Plutôt, le choix est porté sur l’exonération fiscale sur ce produit cible au grand risque d’assécher incessamment l’assiette fiscale de l’Etat, surtout que les recettes prévues de l’importation pour le budget 2019 forment 55% des recettes domestiques. Cela rendra l’Etat davantage impotent dans la provision des services publics à la collectivité », a prévenu Jean Poincy. «

Sans divorce d’avec la stratégie de production nationale axée sur l’agriculture en marge des incitatifs offerts aux investisseurs agricoles en termes de prêts garantis par l’Etat, cette mesure avec une durée indéterminée est contradictoire et mettra définitivement un terme à la production nationale du riz », a estimé Jean Poincy, soulignant que « les bénéfices collectifs escomptés coûteront excessivement cher à l’Etat parce qu’ils ne ciblent pas seulement les moins capables, mais aussi les plus capables, donc tout le monde indistinctement. De surcroît, ils seront éphémères ».

« Cette politique d’apaisement avec tout le paquet incitatif aux investisseurs serait juste seulement s’il s’agissait d’un changement de stratégie économique visant à encourager l’investissement dans la manufacture qui, indéniablement, a une plus forte capacité de création d’emplois à grande vitesse que l’agriculture. L’Etat en tirerait davantage en élargissant son assiette fiscale avec des prélèvements sur la majorité de la population qui travaillerait et du même train pourrait répondre à ses propres besoins sans assistance publique. Ce serait une condition socio-économique rendant disponibles les fonds publics pour la provision des services de base, comme l’eau potable, l’électricité et le transport public qui sont des utilités publiques », a expliqué Jean Poincy…

Source/Le Nouvelliste

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