PORT-AU-PRINCE – Convoqué par la Chambre des députés, le premier ministre haïtien Jack Guy Lafontant pourrait être démis de ses fonctions lundi, dans la foulée des émeutes et des violences qui ont secoué le pays ces derniers jours.

Radio-Canada avec Agence France-Presse et La Presse canadienne
« La Chambre des députés s’apprête à convoquer le premier ministre et à le démettre de ses fonctions. En principe, c’est leur intention avec la majorité gouvernementale », a expliqué lundi matin à La Presse canadienne le rédacteur en chef du quotidien Le Nouvelliste de Port-au-Prince, Frantz Duval.

Pendant ce temps, l’économie du pays est paralysée par un appel à la grève lundi et mardi qui a été largement suivi. Les transports publics sont immobilisés, non seulement dans la capitale, mais aussi du côté interurbain. Les banques et les principales entreprises du pays sont également fermées.

L’Associated Press a rapporté quelques escarmouches entre des groupes de manifestants et des policiers dans la capitale.

Certains manifestants liés à des factions diverses de l’opposition ont tenté de marcher sur le parlement, mais ont été refoulés par les policiers. Un bureau fiscal a également été incendié dans la commune de Tabarre, à Port-au-Prince.

Appel à la grève entendu
À Pétionville, la commune la plus aisée de l’aire métropolitaine, les deux seuls supermarchés ayant rouvert leurs portes étaient pris d’assaut : une longue file de voitures attendait même pour simplement entrer dans un stationnement. Son accès était contrôlé au compte-gouttes par les agents de sécurité.

Dans la capitale, au moins cinq stations-service ont repris la distribution de carburant, mais la vente s’organisait difficilement. La tension était forte, vu l’affluence d’usagers dans le besoin.
Quantité de femmes et jeunes filles attendaient dans le calme et l’ordre devant les rares fontaines rouvertes.

Je marche depuis une heure dans la rue je ne trouve pas d’eau potable.
Rosaline Guerrier

Des jeunes regroupés devant un dépôt de denrées alimentaires encore fermé tergiversaient sur le sort qu’ils souhaiteraient donner au président et à son gouvernement. Assis avec le groupe, Josué Geffrard s’est dit davantage préoccupé par son avenir et celui des citoyens les plus démunis.

« C’est terrible parce qu’après avoir passé trois jours à l’abri chez nous, sans travailler, on n’a pas d’argent », a expliqué le jeune homme. « Je ne suis ni pour ni contre ce qui s’est passé. Je voudrais une amélioration de la situation du pays, sans que des gens voient leur gagne-pain détruit. Seulement, vraiment, on veut un changement », a-t-il conclu.

Le prix du pétrole a embrasé la population
Les troubles ont éclaté après l’annonce vendredi par les autorités d’une augmentation des prix de l’essence de 38 %, du diesel de 47 % et du kérosène de 51 %. Cette décision découle de l’entente entre le Fonds monétaire international (FMI) et Haïti, signée en février, qui impliquait la cessation de la subvention publique des produits pétroliers, source du déficit budgétaire de l’État.

On ne peut pas imposer à un peuple, comme le peuple haïtien, des solutions aussi drastiques [draconiennes] que les solutions du FMI en pensant que ça va passer comme une lettre à la poste. Ça n’a jamais passé ni en Argentine, ni au Brésil, ni ailleurs.

Jaquelin Télémaque, journaliste haïtien basé à Montréal
En entrevue ICI Première, son collègue Obed Lamy a expliqué que l’augmentation du prix du pétrole est la goutte qui a fait déborder le vase.

« Il y a des causes plus profondes pour expliquer ce soulèvement spontané ce week-end. On blâme le président parce qu’il enchaîne avec les promesses, mais on sent qu’il y a très peu de réalisations. Les problèmes les plus urgents ne sont pas adressés. »

Il y a le taux de chômage qui est assez élevé. Il y a beaucoup de personnes qui sont dans l’insécurité alimentaire. Les mesures qu’on essaie d’imposer à la population ne sont pas forcément respectées au plus haut niveau de l’État.

Obed Lamy, journaliste haïtien
Ces propos font échos à ceux d’une autre journaliste Violine Thelusma.
« C’est un mouvement qui est le résultat d’une série de mauvaises décisions par le président Moïse au pouvoir depuis 17 mois », qui cite l’exemple de l’augmentation des taxes dans le budget national, faite « sans crier gare ».

Les émeutes, qui se sont répandues à travers le pays, ont donné lieu à de nombreuses scènes de pillage, des incendies et du vandalisme visant autant de maisons privées que de commerces et entreprises.

Au moins trois personnes ont été tuées dans les manifestations vendredi, selon l’Associated Press. La police a indiqué que les corps de quatre personnes ont été retrouvés dans les rues de Delmas, dimanche, mais n’a pas précisé si ces morts étaient liées aux manifestations.

Ambassade canadienne fermée
Le Canada a décidé de fermer son ambassade pour éviter au personnel de se déplacer, compte tenu des risques pour la sécurité qui perdurent dans la capitale. Ainsi, les employés sont en service, mais ils travaillent de chez eux.

Le bureau du ministère des Affaires étrangères souligne que même si l’ambassade est officiellement fermée à Port-au-Prince, « les services consulaires aux ressortissants canadiens continuent d’être offerts ».

Aide consulaire d’urgence pour les Canadiens en Haïti
Les citoyens canadiens en Haïti qui ont besoin d’une aide d’urgence devraient communiquer avec l’ambassade du Canada à Port-au-Prince au 2812-9000 ou appeler en tout temps le Centre de surveillance et d’intervention d’urgence d’Affaires mondiales Canada à Ottawa au 613 996-8885 (à frais virés, où disponible).

Ils peuvent aussi envoyer un courriel à [email protected].
Les agents consulaires du Centre de surveillance et d’intervention d’urgence à Ottawa ont répondu à 50 demandes de renseignements par téléphone ou courriel, selon Affaires mondiales Canada.

Le diplomate Gilles Rivard, qui a été ambassadeur en Haïti de 2008 à 2010, affirme que la fermeture de l’ambassade s’imposait, à la suite des violences qui ont marqué la fin de semaine.

« Il y a peu de grands axes pour se déplacer à Port-au-Prince, et il est facile pour un groupe d’individus – un groupe relativement limité – de mettre des pneus en travers de la route, de monter des barricades avec toutes sortes d’objets et de bloquer une route. Et à ce moment-là, l’évacuation est beaucoup plus difficile », explique-t-il.

La décision de fermer une ambassade se fait par le gouvernement du Canada, sous la recommandation de l’ambassadeur sur place. Selon M. Rivard, l’ambassadeur a accès à des informations provenant des quatre coins du pays, ce qui lui donne un portrait très précis des risques potentiels. Ses recommandations sont généralement suivies.

Il se rappelle avoir lui-même dû fermer l’ambassade du Canada en Haïti en 2008 après une série d’ouragans, en 2009 en raison de manifestations, et en 2010, dans la foulée du tremblement de terre.

Aucune date de réouverture n’est signifiée sur le site web du ministère des Affaires mondiales.

Celui-ci conseille d’ailleurs aux voyageurs d’éviter « tout voyage non essentiel en Haïti en raison des troubles civils qui sévissent à travers le pays ».

Bien que l’aéroport international Toussaint-Louverture ait été rouvert, le gouvernement fédéral conseille aux voyageurs de communiquer avec leur ligne aérienne puisque plusieurs vols ont été annulés.

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Source/Radio-Canada
Photo/Archives
www.anmwe.com