Le sursaut collectif de la population haïtienne au cours de la fin de semaine des 6-8 juillet dernier contre la classe politique et la classe des possédants n’aura pas été sans vertu aucune.
Premièrement, il —le sursaut— rappelle que le peuple peut longtemps paraitre anesthésié face à ses souffrances; mais qu’il n’est pas irrémédiablement zombifié. Au contraire, il —le peuple— se réserve le droit sacré et inaliénable (heureusement! ) de foutre un coup de pied dans la marmite incestueuse et trop confortable de la classe politique-et-du-secteur-privé-des affaires. Le mot composé ici est important pour saisir les enjeux de la problématique haïtienne.
En effet, au cours des 30 dernières années, on a assisté en Haïti, à une intensification, voire une accélération, des relations incestueuses entre la classe politique et le secteur privé des affaires. Ce dernier se donne comme mode de fonctionnement fondamental de corrompre la classe politique, qui se laisse docilement faire d’ailleurs, de manière à saigner une population qui n’en peut plus de souffrir.
En sorte que la population haïtienne se trouve prisonnière d’une alliance macabre de prostitution entre les politiciens et les affairistes. Au terme de cette alliance, chaque partie prenante (politiciens et affairistes) se précipite de siphonner les ressources du pays, aux dépens d’une population qu’elle croyait (jusqu’au 6-8 juillet dernier) avoir irréversiblement aliénée et zombifiée. Par le sursaut des 6-8 juillet, la population a crié à qui veut l’entendre: “Je suis peut-être anesthésiée, mais je ne suis pas morte”.
Deuxièmement, ce sursaut collectif nous aura permis de découvrir la seule motivation de la classe politique haïtienne. Voilà des dirigeants qui se font élire, non pas pour servir la population exsangue; mais pour se faire servir. Ainsi, dans la foulée de la commotion que le sursaut des 6-8 juillet a provoquée, on a assisté à un convoi carnavalesque de Sénateurs, de Députés, de Ministres, qui sont venus au micro des média s’auto-accuser des privilèges nauséabonds qu’ils se sont attribués à l’insu des électeurs affamés.
Ils ont étalé sans honte aucune les frais pour une seconde résidence, des indemnités journalières (per diem), les frais pour achat de véhicule, pour paiements de carburant, etc. Et comme si cela n’était pas suffisamment écoeurant, le Président du Sénat lui-même est venu nous apprendre, sans dire mea maxima culpa, comment ses acolytes et lui ont grenouillé pour lui louer une résidence officielle pour environ 100 000 dollars américains—le parasitisme ne connait pas de limite en Haïti—. Je suis prêt à parier que cette maison appartient à l’un des Sénateurs ou à la maitresse d’un membre du Parlement. Vous en doutez ?
En outre, quelle est la valeur marchande de cette propriété pour justifier sa location annuelle au prix de 100 000 dollars américains ? Allez savoir! De toute manière, les dirigeants ( le gouvernement, les Parlementaires et la Cour supérieure des comptes) s’en foutent royalement. Ce qui compte, c’est la logique du “all you can eat”: voler le plus que possible et le plus vite que possible.
Enfin, le sursaut collectif des 6-8 juillet dernier nous aura permis de faire la démarcation entre deux camps: celui des dépossédés et celui des possédants. Numériquement, le camp des dépossédés est plus fort; pourtant, le camp des possédants, quoique plus faible, gagne plusieurs manches. Vous vous demandez pourquoi et comment? La réponse se résume en deux mots: corruption et cooptation.
Les possédants (politiciens et affairistes) recrutent et corrompent intensément des éléments venus de la classe des dépossédés. Ils leur jettent au visage quelques miettes, qui leur laissent l’impression ou l’illusion qu’ils font partie de l’élite, de manière à sauver le statu quo.
De plus, les possédants se servent d’eux pour défendre ce système injuste par ce que Gramsci appelle “la subversion des esprits”. À cet effet, Ils disposent de trois armes redoutables: l’école, l’église et les média.
Exécutant leur sinistre rôle, on les a tous entendus et vus dans leur condamnation théâtralisée et scénarisée de la “violence” des 6-8 juillet.
Ce faisant, ils prennent fait et cause pour le statu quo. Ils sont donc, malgré eux, l’illustration de ce que le philosophe marxiste italien, Antonio Gramsci (1978), appelle: “l’intellectuel organique”.
Au moment où je rédige cet article, la classe des politiciens-et-secteur-privé-des-affaires oeuvre à la mise sur pied d’un nouveau gouvernement, aidé par les “intellectuels organiques”. La vérité est que les visages vont changer, mais les politiques publiques de vols, de détournements de fonds, de dilapidation, de corruption, de relations incestueuses entre politiciens et gens d’affaires vont demeurer.
Or, si le pays doit aller de l’avant, ce sont ces politiciens et ces pratiques qu’il nous faut définitivement congédier. Car, dans la vie comme en politique, on ne fait jamais du neuf avec du vieux! Congédions la classe politique-et-du-secteur-privé-des-affaires. Que le soulèvement se poursuive et se transforme en révolution!
Jean Fils-Aimé, Ph.D.
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