PORT-AU-PRINCE – Haïti ne progresse pas dans la lutte contre la corruption. C’est en tout cas le constat de l’ambassadeur de France en Haïti. Pour José Gomez, « il est insupportable, dans un pays pauvre comme Haiti, que des centaines de millions de dollars, dans le cadre de PetroCaribe, aient été détournés ». Dans cette deuxième partie de cet entretien accordé mercredi dernier au Nouvelliste, le diplomate a été également interviewé sur des points comme l’insécurité, l’avertissement de voyage des États-Unis, le respect des droits humains, entre autres.

Le Nouvelliste : La corruption, un sujet qui fâche en Haïti. Avez-vous constaté du progrès dans la lutte contre la corruption en Haïti ces deux dernières années ?

J.G : Vous dites que c’est un sujet qui fâche, c’est un sujet qui fâche avec raison. Il est insupportable, dans un pays pauvre comme Haïti, que des centaines de millions de dollars, dans le cadre de PetroCaribe, aient été détournés. Les gens ne l’acceptent pas ! Ils ont raison de ne pas l’accepter. Ce que nous souhaitons, par exemple, c’est que la Cour des comptes remette, dès que c’est possible, au Parlement la deuxième partie de son rapport. À cet égard, les pressions qui sont exercées sur la Cour des comptes pour qu’elle ne remette pas la deuxième partie de ce rapport sont inacceptables dans une démocratie.

Nous souhaitons que cette deuxième partie du rapport soit remise dès que possible et qu’ensuite, la procédure juridique suive son cours. Je remarque aussi que la communauté internationale peut aider. Il existe une commission internationale des Nations unies contre l’impunité au Guatemala ; il existe au Honduras une mission contre la corruption, et l’Équateur vient de demander à l’OEA de mettre en place une mission pour l’aider à lutter contre la corruption.

Je sais que l’OEA serait prête à aider Haïti en mettant en place une telle mission anticorruption qui suivrait ces dossiers et qui aiderait la justice haïtienne à les traiter. Des propositions ont été faites en ce sens, et je regrette profondément que le gouvernement haïtien n’ait pas saisi cette opportunité de renforcer la lutte contre la corruption.

L.N : Nous revenons sur la question, Monsieur l’ambassadeur. En deux ans avez-vous constaté des progrès dans la lutte contre la corruption en Haïti ?

J.G : Et vous ? Écoutez…pour l’instant non ! J’ai entendu l’expression d’une volonté pour lutter contre la corruption, maintenant cela doit se traduire par des procès et des condamnations. Quand les procès et les condamnations auront lieu, je vous dirai qu’il y a eu des progrès. Pour le moment, ce n’est pas le cas !

L.N : Très souvent, on met Haïti sur le banc des accusés pour les violations des droits humains, avez-vous un commentaire sur ce qui s’est passé à La Saline ?

J.G : Haïti n’est pas sur le banc des accusés. Ce qui est sur le banc des accusés, ce sont les individus qui violent le droit des Haïtiens. C’est une chose complètement différente…

L.N : Cependant, Monsieur l’ambassadeur, on met les avertissements de voyage sur Haïti, pas sur des individus ?

J.G : Oui, tout à fait. Mais les coupables de ces violations sont, comme vous l’avez dit, des bandits. J’ai reçu, le 10 mai, un certain nombre d’organisations des droits de l’homme et j’ai été très frappé par le fait que les militants des droits de l’homme avaient reçu des menaces de mort. C’est une situation qui est absolument inacceptable. Je les ai assurés du soutien politique et moral de la France.

C’est vrai qu’il s’est produit des massacres à La Saline au mois de novembre dernier. Certains parlent d’une cinquantaine de morts, d’autres de soixante-dix. En tout cas, des gens ont été exécutés dans des conditions atroces. Des enquêtes ont été menées. Ce que nous espérons, c’est que les coupables de ces massacres seront jugés et punis. Pour ma part, j’attends aussi avec beaucoup d’intérêt le rapport sur les droits de l’homme de la MINUJUSTH qui, six mois après les événements, n’a pas été publié. Je trouve que c’est très long. Pour la France, la défense des droits de l’homme est essentielle. Je constate que souvent, les victimes sont les populations les plus démunies qui sont livrées aux gangs.

L.N : Vous vous sentez en insécurité en Haïti ?

J.G : Le problème, ce n’est pas ma situation. Moi, je ne me sens pas en insécurité en Haïti. Mais je parle avec beaucoup d’Haïtiens qui vivent dans la peur. Ils vivent dans des quartiers difficiles. Quand il y a des échanges de tirs, ils n’osent pas sortir de chez eux. Au mois de février, ils ont passé des journées entières terrés chez eux avec des difficultés à s’alimenter. Les Haïtiens ont peur. La peur est un sentiment très répandu en Haïti. C’est pourquoi nous pensons que le dialogue peut permettre de surmonter cette situation.

Le Nouvelliste : Est-ce que votre pays s’aligne sur les avertissements de voyage des États-Unis vers Haïti ?

José Gomez : Non, la France ne s’aligne pas de manière générale. Vis-à-vis d’Haïti, nous avons la politique que nous croyons utile à Haïti et utile à nos relations bilatérales indépendamment de la politique d’autres États. Quant à la diplomatie de Monsieur Trump, ce n’est pas à moi de la commenter.

Source/Le Nouvelliste
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