PORT-AU-PRINCE – Jean-Hervé Paul, le cadet des trois enfants de madame Franck Paul du collège Canapé-Vert, est mort. Il n’est plus de notre monde pour avoir fait choix de ne pas plier l’échine devant les kidnappeurs qui voulaient l’enlever chez lui au Canapé-Vert. L’enseignant a résisté dans sa petite maison en plywood qu’il avait construite dans la cour à l’ombre de la grande bâtisse en béton où vivait sa mère depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Les bandits ont brûlé la cervelle de Jean-Hervé. Ces derniers ont ligoté et bâillonné le gardien qui devait ouvrir la barrière de sa résidence.

Madame Franck Paul, 84 ans, retient ses larmes. Sur les lèvres de cette directrice d’école ne s’égrenent que des interrogations. « Quand est-ce que je vais enterrer Jean-Hervé ? Il n’avait que cinquante-quatre ans. N’est-ce pas lui qui devait m’enterrer ? »

Assise dans un véhicule dans la cour du collège Canapé-Vert, elle reçoit des amis, des enseignants qui viennent la réconforter. « Courage madame Frank Paul, nous te soutiendrons dans la prière. »

La mère du défunt se demande : « Comment annoncer à la fille de Jean-Hervé qui n’a que cinq ans ce drame ? Elle est intelligente, elle a du flair, elle comprend ce qui se passe à l’école, elle ne dit rien. Mais comment annoncer à une enfant que son papa est mort ? »

Visage impassible, yeux secs, voix cassée, madame Franck Paul confie : « En juillet 2018, j’ai enterré mon aîné Francky. Je comptais sur Jean-Hervé pour prendre la relève de l’école. Cela me fait mal pour lui. Il était si entreprenant. Il enseignait , la philosophie à l’école, l’espagnol et la musique. Et il m’assistait aussi dans tout ce que je faisais au collège. »

« Est-ce que les gens de bien n’ont pas leur place dans ce pays ? C’était un jeune. Il avait étudié aux États-Unis. Il avait une licence en philosophie et une autre en musique. Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, je lui avais demandé de rentrer à Port-au-Prince pour continuer l’œuvre que j’ai construite : le Collège Canapé-Vert », se lamente madame Franck Paul.

Le 12 janvier 2010 le Collège Canapé-Vert, institution vieille de quarante-cinq ans, a été détruite par le violent séisme qui a mis à genoux Port-au-Prince. Sur les ruines de l’œuvre de sa vie, elle a élevé un nouvel édifice pour offrir une éducation de qualité à la jeunesse haïtienne. Elle retient de son fils un côté artiste, idéaliste qui faisait très peu de cas du côté matérialiste de la vie.

Madame Franck Paul se plaint souvent des trente-six hectares de terre du côté de Mellier, à Léogâne que des gens ont spolié pour faire du social. « Quand je disais à Jean-Hervé c’est dur ce qui nous arrive, il me répondait : laissez-les, car il faut tout laisser sur cette terre », dit cette directrice dont l’école a été badigeonnée de matières fécales le 18 novembre de l’année dernière.

À l’administration du collège, madame Mireille Antoine, active dans cette section depuis trente ans environ, est dévastée. Elle ne s’attendait pas à ce drame. Une dernière fois, elle regarde les dernières corrections des épreuves de philosophie, d’espagnol et de musique qui affichent à l’encre rouge les dernières notes de Jean-Hervé.

Source/Le Nouvelliste
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