Haïti n’avance pas, Haïti ne se développe pas, Haïti semble un pays condamné à la pauvreté. Pourquoi, quelles sont les causes ? Quand on analyse ce qui se lit et se dit dans les médias ou ce qui se discute au parlement, on constate que personne n’approfondit ce qui, à mon avis, est la raison principale du retard économique et social d’Haïti…

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…et son incapacité de progresser durant les dernières années, malgré l’instauration de la démocratie. Et malgré tout, pour moi, une des causes du retard est l’égoïsme de la classe politique dont l´une des plus graves conséquences est le mauvais ancrage des institutions constitutionnelles.

L’histoire politique d’Haïti pendant le dernier quart de siècle a affecté profondément sa capacité de développement. Et les responsables de cette situation sont principalement les politiciens qui, sachant la nature du problème, n’ont jamais rien fait pour trouver des solutions. Pour arrêter l’hémorragie constante que cette conjoncture provoque, ils auraient pu en discuter, ouvrir un vrai dialogue national, former un consensus social, proposer des solutions…

Ils ont préféré continuer le parcours de la petite politique, celle qui s’enfonce permanemment dans d´éternels débats autour de: la désignation-nomination du Premier Ministre ; la constitution ou pas d’un Conseil Electoral Permanent, en accord avec la Constitution de la République; la formation d’un Conseil Electoral Provisoire, ce qui, en soi-même, est une fraude constitutionnelle car ce Conseil éphémère par définition, n’était pas prévu dans l’esprit des constituants, que pour la célébration des premières élections après la chute de Duvalier. La multitude d’élections en Haïti est complètement absurde et empêche les Responsables à se concentrer et toucher efficacement les multiples problèmes auxquels fait face notre pays. Leur organisation consomme beaucoup de temps et ressources financières de l’Etat, ressources qui pourraient être utilisées à d’autres fins ; dans le domaine social, par exemple.

L´égoïsme politique associé au mauvais ancrage des institutions constitutionnelles est la cause de la débandade qui règne en Haïti et explique la situation de pauvreté dans laquelle traîne notre pays. Cet égoïsme politique a reçu l’aide d’un schéma constitutionnel mal conçu mais surtout de la classe politique, parfaitement consciente de la nature du problème, qui n’a rien fait pour tenter d´y remédier. Pourquoi ? Parce que chaque membre de la classe politique agit comme un boutiquier dont le champ de vision semble être limité par des œillets. Il maintient son petit royaume, son petit territoire, sa petite parcelle de pouvoir qu´il ne veut pas céder même s’il s’agit de l´intérêt général, du bien du peuple haïtien! C´est ce que j´appelle de l’individualisme pur et dur. Le pays, ainsi, n’a pas été capable de résoudre ses maux et d’entreprendre la voie du développement même comptant sur la généreuse aide de la communauté internationale tout au long du dernier quart de siècle.

En 1987, le peuple adopta une Constitution considérée comme démocratique après trois décennies d’une dictature cruelle et affreuse. Il n´est pas inutile de souligner que cette Constitution est un fruit de l´émotion! La rédaction de ses articles a vraisemblablement été guidée par le désir de rompre avec le Duvaliérisme qui avait dévasté notre pays. Les constituants choisirent un système de gouvernement à mi-chemin entre le présidentialisme et le parlementarisme, éloigné, pourtant de la tradition politique haïtienne. Un système inspiré à partir du modèle français de la Vème République de 1958. Malgré cette origine, malgré un modèle d’État fort, le comportement de notre Constitution a été diamétralement contraire à celui de sa source française.

C’est clair que le modèle de la Vème République française, la Constitution née en 1958, a été le résultat des idées d’un État fort proposées par le général Charles De Gaulle fatigué, comme beaucoup de ses compatriotes, de la faiblesse que la IVème République montrait où les gouvernements se succédaient à une vitesse telle qu’elle supposait un obstacle pour le progrès du pays juste après la deuxième Guerre Mondiale. L’instabilité était la marque de distinction française avant l´adoption et l´entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958.

En Haïti au contraire, et loin des effets bénéfiques de stabilité et succession contrôlée des gouvernements instituées par cette Constitution-là, la nôtre de 1987 s’est comportée radicalement de façon différente : nous n´avons pas connu de gouvernements forts en Haïti.

Notre Constitution malgré le silence des médias, des experts et surtout de la classe politique, a semé une sorte d’instabilité politique permanente dans notre pays. On ne peut pas vraiment déduire, à partir de la division des pouvoirs qu’elle établit, qui dirige réellement le pays. Aux Etats-Unis, on sait que le Président est à la tête de l’État. En Colombie et en République Dominicaine aussi mais pas en Haïti. Chez nous, le pouvoir exécutif est divisé en deux branches : le Président de la République d’un côté et le Premier Ministre de l’autre. S’il y a un désaccord minimum entre eux, le système cesse de fonctionner et le processus de prise de décisions reste impossible.

Il y a eu beaucoup d’exemples depuis 1987, mais nous avons eu un cas concret récemment, pendant l’expérience échouée de cohabitation vécue entre le Président Michel Martelly et le Premier Ministre Gary Conille, d´octobre 2011 à février 2012. En fait, jusqu’à présent, aucun Premier Ministre haïtien n’a survécu en fonction au-delà d´un an et demi (1½). L’actuel Premier Ministre, Laurent Lamothe, étant l’exception, détient le record total avec presque deux ans et demi de mandat continu. Cette permanence inédite s´est installée dans une période où règne une certaine stabilité politique qui est due non à la Constitution mais plutôt à la bonne entente entre les deux Responsables du Pouvoir Exécutif Martelly et Lamothe.

L’exemple de la cohabitation frustrée Martelly-Conille, d’à peine cinq (5) mois, est un petit échantillon qui démontre jusqu’à quel extrême peut mener l’instabilité du système politique haïtien : cette structure, tel qu’elle est conçue, brûle les Premiers Ministres qui sont soumis à une tension insupportable entre la Présidence de la République et le Parlement, plus particulièrement le Sénat. Un Sénat qui, réduit maintenant à vingt (20) membres, a maintenu le quorum à seize (16) sénateurs présents au lieu de onze (11) (la moitié plus un), peut-être pour rendre les accords plus difficiles. Tout cela sans parler du lourd processus relatif au choix d´un nouveau Premier Ministre. En effet, le système exige de proposer et ratifier un nouveau candidat dans deux mois et demi (2 ½) à trois (3) mois. Il convient de rappeler que presque six (6) mois se sont écoulés avant que Martelly ait obtenu la ratification de son premier Chef de Gouvernement. Nul autre pays ne peut se permettre de vivre tant de mois sans Gouvernement et Haïti, avec une multitude de problèmes accumulés, encore moins que les autres !

Quand le dessein est de bloquer le pays, on évoque toujours son obligation et celle des uns et des autres de respecter la Constitution que l´on n´hésite pas à mettre à l´écart quand on veut défendre ses propres intérêts mesquins, tel par exemple celui de vouloir jouir des privilèges découlant de la noble fonction de Sénateur jusqu´en avril 2015…

Je me demande si au moment de l´élaboration de la Constitution de 1987, les constituants avaient identifié dans sa globalité l´intérêt général qui est difficilement définissable et même susceptible d’évoluer au gré des transformations ou mutations de la société.

Pour le juriste et, spécialement, pour le juriste de droit public, l’intérêt général est une référence constante qui doit absolument être au cœur de l’élaboration de la loi.

L´élaboration de la loi est l’expression de la recherche du compromis (arrangement dans lequel on se fait des concessions mutuelles) en même temps que de l’intérêt général qui est fondé sur une quête du bien commun. Les législateurs haïtiens doivent s´efforcer de rechercher en même temps le compromis et l´intérêt général. Ce n´est pas chose facile. Il convient donc de s’interroger sur les voies et moyens d´arriver en même temps au compromis ainsi qu´à la satisfaction de l’intérêt général.

Dans le cas de l´adoption d´une loi, certains diraient que la recherche du compromis est en elle-même d’intérêt général. Néanmoins, l´essence du compromis fondé sur des concessions réciproques est de contenter chacun qui, en fin de compte, n´est point pleinement satisfait.

Quand j´analyse la situation actuelle de mon pays, je constate que lorsqu´il s´agit d´ adopter une loi, la classe politique haïtienne ne recherche guère le compromis et moins encore l’intérêt général dans l’élaboration de la loi qui doit être l’expression de la volonté générale, ce, dans le respect de la Constitution. Nous vivons maintenant un exemple clair d’égoïsme politique : six sénateurs ont pris en otage le pays refusant de voter la loi électorale par le biais du quorum du Sénat, malicieusement maintenu à 16 membres présents au lieu d’onze, comme exige la logique d’une chambre de 20 sénateurs.
Qu’est-ce qu’il faut faire ? C’est très clair : réformer la Constitution, l’adapter et trouver la formule d’un gouvernement efficace, avec le concours d´une classe politique moderne, tolérante, ayant un esprit ouvert. Tout le monde est d’accord sur la nécessité d’un amendement profond de la Constitution. Mais beaucoup de politiciens utilisent leur petit pouvoir individuel pour empêcher quelque soit l´avancement. Nous avons été témoins de l’effort fait par le cardinal Chibly Langlois pour rassembler toute la classe politique, les représentants des institutions et de la société civile pour arriver à un consensus national qui permettrait la célébration des élections et la réforme de la Constitution. Nous avons raté cette opportunité.

Ceux qui veulent nous gouverner ne sont point des modèles d´intégrité et d´altruisme. Haïti a besoin d´une classe politique généreuse, capable de céder pour satisfaire l´intérêt général du peuple sinon nous serons condamnés au désastre “per vitam aeternam”.

Claudie Marsan, Juriste.

Source/HPN

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