PORT-AU-PRINCE – Pour la huitième année consécutive, Le Nouvelliste publie la liste des personnalités qui ont marqué l’année. Par ordre alphabétique et sans prendre en compte ce qui est bien ou mal dans leur parcours, nous publions ci-après la liste des 12 personnalités ou phénomènes qui ont pesé sur l’année 2018. Comme chaque année, cette liste reflète les choix de la rédaction du journal.

Reginald Boulos. Homme d’affaires s’affirmant de plus en plus sur la scène des idées sociales et politiques, Reginald Boulos, à l’inverse de ce que fait tout homme d’affaires en Haïti, après avoir été la principale victime des émeutes de juillet, n’a cherché ni à se cacher ni à se refaire avec l’appui de l’État dans une course aux réclamations-réparations-dédommagements. Boulos s’est remis au travail en ayant pour béquilles des prix bas et un marketing agressif. Comme souvent, il mise tout sur la quantité et des solutions innovantes. Celui qui a été tour à tour dans les produits pharmaceutiques, la banque, le commerce de détail, l’immobilier, la presse, l’hôtellerie et l’automobile a essuyé ses pertes et a décidé de peser encore plus sur l’échiquier politique. Peu suivi par ses pairs du secteur privé, celui qui a donné une assise nationale à la Chambre de commerce et d’industrie d’Haïti et dirigé le patronat haïtien cherche le meilleur positionnement pour servir le pays et ses intérêts, ou l’inverse. L’année 2018 avait commencé pour lui avec une affaire de prêt obtenu auprès de l’Office national d’assurance-vieillesse (ONA) qu’il présente comme un placement juteux pour l’institution mais que ses détracteurs qualifient de cadeau politique, 2019 sera-t-elle pour lui celle de la reconstruction ?

Jean-Henry Céant. Deuxième premier ministre de la présidence de Jovenel Moïse, Jean-Henry Céant n’a pas encore réussi de miracle. Il n’a pas pu mener à bien la majorité de ses annonces, cependant, il a su apporter de l’air frais à une administration qui suffoquait après les émeutes de juillet. C’est aussi la figure rassurante du notaire connu de tous et de l’ancien candidat à l’imposant carnet d’adresses qui a su sauver la mise au président Jovenel Moïse après la gigantesque manifestation du 17 octobre 2018 et les jours mouvementés de novembre entre le 18 et le 22. Sympathique, armé de son entregent, figure neuve, Jean-Henry Céant rassure comme jamais son prédécesseur, Jack Guy Lafontant, n’avait su le faire. La rumeur de ses menaces de démission lui donne contre toute attente une assise plus large que ses actions réelles. Capable de parler avec toutes les chapelles de l’opposition, homme d’argent qui parle la langue du secteur privé, Céant a su séduire les diplomates qui trouvent en lui un interlocuteur réaliste qui leur permet de remplir les pointillés au moment de tracer le portrait juste du pouvoir de Jovenel Moïse. 2018 a été l’année du notaire. 2019 sera-t-elle l’année d’un pays avec un vrai premier ministre après l’expérience inaboutie avec Lafontant et le lancement retardé de Céant ?

Melchie Daelle Dumornay. Elle est la footballeuse haïtienne de l’année 2018. Alors qu’elle complète avec satisfaction un stage à Lyon, son jeune âge l’empêche d’être transférée, pour le moment, en dépit d’un potentiel qui intéresse énormément cette équipe de pointe du championnat français de football féminin. Entre-temps, Melchie Daelle Dumornay vient de terminer le championnat haïtien de foot féminin avec le titre de meilleur buteur avec 25 réalisations, dont cinq au cours de la finale de la Coupe du Parlement face à Anacoana. Si la sélection nationale U17 de football féminin est éliminée en terminant 4e de la Concacaf dans la course à un billet qualificatif pour Uruguay 2017, Melchie Daelle survole la phase Concacaf de toute sa classe. La Concacaf lui décerne le ballon d’or de la compétition. Pour ce qu’elle a réalisé au cours de l’année avec les U20 qualifiée pour le Mondial en janvier, les seniors en mai, les U17 en phase Concacaf en juin et son Mondial en France, celle qui joue au poste de milieu de terrain est nominée par la Concacaf non seulement comme l’un des meilleurs à son poste pour l’année mais aussi comme candidate à la distinction de meilleure joueuse Concacaf de l’année, distinction synonyme au «The Best» de la FIFA dans l’espace géographique d’une confédération.

Hôpital Bernard Mevs. En quelques années, dirigé par d’exceptionnels jumeaux, les docteurs Jerry et Marlon Bitar, l’hôpital Bernard Mevs Medishare Project est devenu le centre de référence de la région métropolitaine. Adossé à des institutions étrangères, l’hôpital s’est établi en quelques années à peine une solide réputation pour la qualité de ses soins et surtout la disponibilité de ses services 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. L’hôpital Bernard Mevs porte le nom du fils d’un riche homme d’affaires qui a fait fortune en Haïti. Il reçoit cependant les riches comme les pauvres dans des bâtiments modestes mais fonctionnels situés dans un quartier populaire. Les services sont peuplés de médecins haïtiens comme de spécialistes étrangers de passage qui échangent à longueur de cas leurs expériences pour mieux enrichir le bagage des uns et des autres. Etablissement de référence pour les accidentés de la route, les blessés par balle, les victimes des maladies cardio-vasculaires, etc., l’hôpital Bernard Mevs Medishare Project montre la voie aux autres institutions sanitaires du pays, publiques et privées. L’hôpital Bernard Mevs a su aussi mettre à profit des partenariats avec des hôpitaux étrangers et locaux pour faire avancer la cause de la fourniture de soins de santé à la population. En plus d’un programme de résidence hospitalière en pédiatrie, l’hôpital Bernard Mevs héberge depuis peu un programme de formation complète en neurochirurgie, une discipline ayant très peu de spécialistes en Haïti. Avec l’Université Notre-Dame, l’université de Miami, les Centres Gheskio, le MSPP, les Dr Bitar mettent à profit l’importance des partenariats, de la mise en commun des ressources pour atteindre des objectifs visés.

Les chefs de gang. Ils sont devenus des personnages incontournables de l’actualité. Si les plus connus sont ceux qui règnent sur les quartiers chauds de Port-au-Prince, pas une ville de province, pas une agglomération importante n’échappe au contrôle d’un chef de gang et de ses soldats. Le massacre de La Saline a montré que certains gangs se regroupent pour en affronter d’autres. Leur force de frappe, pistolets, fusils, fusils automatiques et armes créoles, est redoutable. Chaque gang est lié à des intérêts économiques et/ou politiques. Ils sont tantôt réputés proches du pouvoir ou de l’opposition. Les parlementaires et les officiels les ménagent, les cajolent ou les entretiennent car un gang peut faire basculer une élection, une nomination. Pour de nombreux observateurs, Haïti n’a jamais été si proche des germes de la guerre civile et si loin de la paix, une année après le départ de la Minustah et l’échec de la mission qui a pris sa suite, la Minujusth, cantonnée, par décision du gouvernement haïtien, dans un rôle de spectateur. Pour le moment, ni les Forces Armées d’Haïti encore à l’état embryonnaire, ni la Police nationale d’Haïti, ni la commission de désarmement, ni les services d’intelligence ne s’attaquent à la problématique des gangs.

Vladjimir Legagneur. L’année s’achève et le photoreporter Vladjimir Legagneur n’est toujours pas revenu d’une visite dans les quartiers chauds de la sortie sud de Port-au-Prince. Le mercredi 14 mars 2018 est le dernier jour où il a été vu vivant. Depuis, il y a des supputations et de la crainte. Pour le moment, on ne sait pas où il avait exactement rendez-vous ni avec qui. Il a fallu un communiqué du « Kolektif 2 Dimansyon » (K2D) – un regroupement de photographes, journalistes, vidéastes et graphistes haïtiens – pour rendre officielle sa disparition le jeudi 22 mars 2018. En dépit des recherches de ses proches et des promesses des autorités policières, aucune nouvelle n’a filtré sur son sort. La police, dans un premier temps, avait annoncé des arrestations et la découverte d’ossements. Des tests ADN devaient être conduits. Depuis, plus rien. Pas de nouvelle ni d’annonce. Vladjimir Legagneur est porté disparu. La presse encore une fois est victime. Ni la police ni la justice ne cherchent les réponses.

Juge Dieunel Lumérant. C’est l’histoire d’un juge d’instruction de la ville de Saint-Marc dont personne n’avait jamais entendu parler jusqu’au jour où Dieunel Lumérant fait mettre en prison Godson Orélus, ancien directeur général de la Police nationale d’Haïti (PNH) sous la présidence de Michel Martelly. Non seulement le juge fait exécuter un mandat de dépôt contre un ancien haut responsable des forces de l’ordre, il vise aussi un ancien ministre de l’Intérieur, un responsable en poste de la sécurité présidentielle et d’autres officiels. Ils sont tous inculpés dans une affaire d’importation d’armes à partir des États-Unis d’Amérique. Si pour certaines sources, toute l’action de la justice est dictée par des demandes d’ambassades puissantes, pour d’autres, l’opération vise à démanteler les réseaux qui font le commerce de ces armes qui finissent dans les pays voisins dans les mains de criminels. L’action du juge Dieunel Lumérant n’est qu’à son début alors que le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince Clamé-Ocnam Daméus a été poussé à la démission sans avoir réussi à mener à bien une seule affaire… Entre la grève des avocats et ses multiples problèmes, la justice haïtienne continue de ne pas être au service des justiciables.

Gilbert Mirambeau Junior. Plus connu comme cinéaste, Gilbert Miranbeau Jr lance un message sur Twitter le 14 août 2018. Armé d’une petite pancarte en carton tenue à bout de bras avec une simple question : Kot kòb Petwo Karibe a ???. Il lance ce jour-là un mouvement. Sa question devient très vite un challenge porté par le hastag # le plus repris par les Haïtiens qui fréquentent les réseaux sociaux. Comme un feu qui embrase un champ de canne #KotkòbPetwoKaribea??? bouleverse le timeline des réseaux sociaux en Haïti avant de prendre le béton avec un sit-in devant la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif. #KotkòbPetwoKaribea??? intégrera une gigantesque manifestation, le 17octobre 2018. Repris par les politiciens qui avaient depuis des années fait de l’affaire PetroCaribe leur cheval de bataille, la question et le mouvement citoyen contre la corruption cherchent à se trouver une voie et des voix clairement identifiables pendant que les hommes politiques veulent coloniser le mouvement. Si Gilbert Mirambeau Junior, qui était apparu les yeux bandés le 14 août 2018 ne se revendique pas comme le leader derrière #KotkòbPetwoKaribea???, il reste celui qui a allumé la petite étincelle qui a su réveiller un pays et porter les responsables de l’État haïtien au plus haut niveau à sortir d’un confortable silence de près de dix ans sur les milliards de ce prêt obtenu auprès du Venezuela, le fameux fonds PetroCaribe. En attendant des résultats plus concrets, les Petrochallengers ont porté l’exécutif haïtien à se remanier au plus haut niveau et met la Cour des comptes au travail pendant que plus d’un se demande où étaient les institutions de contrôle en Haïti depuis dix ans. Sans flirter avec les Youri Latortue, les Evallière Beauplan, les Jean Charles Moïse et les André Michel, ceux qui poussent #KotkòbPetwoKaribea??? sont considérés comme des opposants au pouvoir de Jovenel Moïse.

Jovenel Moïse. C’est une année horrible qui s’achève pour le président Jovenel Moïse. Tout commence en janvier 2018, par un mini-clash avec la communauté internationale sur l’orientation de l’aide internationale et sur l’efficacité de l’assistance étrangère à Haïti. Puis, c’est un accord avec le FMI, en février 2018, qui ouvre la voie à des décisions sur les prix de l’essence qui vont provoquer des émeutes en juillet. Avant cet épisode malheureux, la présidence, en mars 2018, sans concertation avec les acteurs économiques, décide d’appliquer une dédolarisation forcée de l’économie. Dans un pays où plus de 50% de l’épargne nationale est placée en dollars, la mesure passe mal. Si elle finira par être adoucie, la dédollarisation pèse encore sur le cours de la gourde. Jamais, de mémoire d’Haïtien, la devise nationale n’a vécu une telle perte de valeur que ces neuf derniers mois. Pour ne rien arranger, en juillet, le président perd son premier ministre, poussé à la démission par les députés de la majorité présidentielle. Jovenel Moïse pendra près de trois mois pour accepter en Jean-Henry Céant un premier ministre avec qui il peut travailler. Pendant ce temps, le pays se cherche pendant six mois un budget et l’année finit sur un taux de croissance de 1.5%, loin des 3.9% espérés en début d’exercice. Grevé de promesses, Jovenel Moïse termine l’année avec l’obligation de chercher à satisfaire les exigences de ses alliés politiques, des parlementaires, de la communauté internationale et de la rue que tiennent ses opposants. 2019 arrive et déjà le dossier PetroCaribe va occuper le devant de la scène en pleine année électorale.

Kesner Pharel. Cela fait une trentaine d’années que Kesner Pharel laboure le champ des idées économiques. Ce territoire, il faut le dire, est laissé en jachère par la gauche et par la droite en Haïti. Professeur d’université, homme de médias, chef d’entreprise, Pharel a toujours le temps pour expliquer un concept ou pour pourfendre les autorités pour leur politique économique de grenn gòch. Si aujourd’hui on parle du budget et même du dossier PetroCaribe, Kesner Pharel a été le premier à sensibiliser à ces notions. Ces émissions à la radio, à la télévision, ses cours à l’université, ses forums, ses conférences à travers le pays ont fait de lui le pape de la divulgation de l’économie et le chantre de l’entrepreneuriat en Haïti. Aujourd’hui, Pharel a fait école. Les médias ont leur économiste maison ou une émission où les affaires d’argent, de la finance ou sur les politiques publiques sont traitées ou évoquées.

Redondo El Principe Richard. Joueur de football talentueux bien qu’amputé de sa jambe gauche, El Principe Redondo Richard, ailier droit de la sélection nationale de football des amputés, a donné toute la mesure de son art pendant la compétition organisée au Mexique cette année. Il a magnifié la compétition de son adresse et de sa dextérité. Richard a marqué 9 buts des 15 buts inscrits par la sélection nationale à la 15e édition de la Coupe du monde des amputés qui s’est déroulée du 27 octobre au 4 novembre à San Juan de los Lagos, dans l’État de Jalisco au Mexique. Cette performance a permis à Redondo El Principe Richard de décrocher le titre de meilleur buteur de ce Mondial. Une distinction qu’aucun footballeur haïtien, avant lui, n’avait obtenue dans des compétitions mondiales. Né le 15 août 2000 à Fort-National, la vie d’El Principe Redondo a pris un tournant lors du séisme du 12 janvier 2010 quand il a perdu sa jambe gauche. Plus qu’un excellent joueur de football, Redondo El Principe Richard est le symbole vivant que le handicap n’est pas un extrême préjudice.

Nice Simon. Actrice célèbre du paysage cinématographique d’Haïti, mairesse de Tabarre et figure connue et respectée, Nice Simon s’est retrouvée à la une des réseaux sociaux le 1er octobre 2018 à la suite de la publication de photos d’elle, le corps marqué par des bleus. Quand Nice Simon, que la majorité de ses admirateurs appelle Anne, du nom du personnage qu’elle incarne dans la saga ”I love you Anne” qui l’a rendue célèbre, elle explique que c’est son conjoint, le père de son fils, qui l’a rouée de coups. Nice portera plainte formellement et donnera une conférence de presse pour dénoncer le forfait mais surtout encourager les autres femmes victimes de violence conjugale à ne pas se taire. Si la police et la justice n’ont jamais pu ou voulu exécuter le mandat contre l’accusé, Nice « Anne » Simon passe déjà comme étant la première femme connue en Haïti qui a su braver les interdits et le regard de la société pour porter une affaire de violence conjugale sur la place publique à défaut de la conduire devant un juge.

Source/Le Nouvelliste
Photo/Archives
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