Jovenel Moise – Nicolas Maduro

PORT-AU-PRINCE – La question « Qu’est-ce que Haïti va gagner en rejetant Maduro ? » est dans la tête de tous ceux qui pensent que les relations internationales sont dénuées de sentiments et se résument à des intérêts nobles ou immédiats. En soutenant, puis en lâchant la révolution bolivarienne pour s’aligner sur la position américaine, l’administration Moïse-Céant a fait un remake du revirement opéré par le régime de François Duvalier vis-à-vis de Cuba au début des années 60.

Dans un excellent article de l’historien Wien Weibert Arthus, « Le prix de l’ostracisme de Cuba de l’OEA en 1962: les dessous de la conférence de Punta del Este », il retrace le parallèle entre ces deux moments de la diplomatie haïtienne. Comme pour Cuba, Haïti a commencé par soutenir le Venezuela de Nicolas Maduro, faire abstention puis le lâcher pour retrouver son allié de toujours, les USA. Avant de voir ce que Haïti va gagner cette fois, revisitons le passé.

Nous sommes en janvier 1962. Après avoir soutenu le régime de Fidel Castro dans des réunions de l’Organisation des États américains (OEA) où il est question de sanctions contre Cuba, après avoir accueilli un représentant de la Pologne socialiste et fait le discours du 2 janvier 1962 où il reproche aux États-Unis d’Amérique de négliger Haïti et de geler son aide, après avoir rejoint un groupe dit des six qui supporte Cuba jusqu’au 27 janvier, le 28 janvier 1962, le ministre des Affaires étrangères d’Haïti René Chalmers, sur instructions du président François Duvalier, donne la voix d’Haïti en support à la position américaine. Ce vote fut déterminant pour expulser Cuba de l’OEA par treize voix pour.

Cet épisode de la diplomatie haïtienne s’est passé en 1962 à Punta del Este, en Uruguay. Les livres d’histoire rapportent deux versions que conte très bien l’historien haïtien Wien Weibert Arthus.

Celle de la délégation haïtienne qui fit savoir que les États-Unis achetèrent le vote haïtien, c’est-à-dire qu’ils offrirent de l’argent au pays pour son vote. Celle de la partie américaine est différente : selon les envoyées du Département d’Etat, c’est Haïti qui a offert son vote en échange de la reprise de l’aide américaine.

En janvier 1962, le vote d’Haïti valait son pesant de dollars, car même une abstention aurait fait capoter les plans américains. Après l’échec de l’invasion de la Baie de Cochons, on imagine que le gouvernement John F. Kennedy ne voulait à aucun prix d’un camouflet diplomatique après le désastre militaire.

Dans son ouvrage « Mémoires d’un leader du tiers-monde », Paris, Hachette, 1967, p. 197-198, François Duvalier donne sa version des faits. Dans son livre « A Thousand Days », p. 782-783, Arthur M. Schlesinger Jr, ami du président Kennedy et membre de la délégation américaine à Punta del Este, donne une autre version.

Selon lui, le chef de la délégation américaine, le secrétaire d’État Dean Rusk, avait envoyé une note à son homologue haïtien René Chalmers lui disant que « les États-Unis n’associent pas aide économique et performance politique, mais si Haïti lui-même veut faire le lien, il doit comprendre qu’à l’avenir l’aide sera minutieusement examinée en fonction de son rôle à Punta del Este (…) S’agissant d’Haïti, nous avons finalement cédé au chantage et accepté de reprendre notre aide et construire l’aéroport de Port-au-Prince»

Dans leur rapport, après la conférence de Punta del Este cité par Robert D. et Nancy G. Heinl dans leur ouvrage Written in Blood: The Story of the Haitian People (1492-1995), « les délégués américains notaient avec une pointe d’ironie les dépenses du secrétaire d’État, à Punta del Este, au cours de la journée du 28 janvier : $ 2,25 le petit déjeuner et le déjeuner avec le ministre haïtien $ 2.800.000,00 ».

« En Haïti, l’aide financière américaine, qui avait été gelée depuis l’automne 1961, était reprise immédiatement après le deal de Punta del Este. Les États-Unis accordaient de nouveaux budgets à son agence d’aide au développement (USAID) en Haïti. Au début du mois d’avril 1962, l’administration Kennedy annonçait le décaissement de 7.2 millions de dollars destinés à la réalisation de programmes d’assistance technique et économique en Haïti. Quelques semaines plus tard, le Development Loan Fund accordait un prêt de 3.4 millions de dollars au régime de Duvalier pour la construction d’infrastructures routières. Tout montrait donc que le dictateur haïtien avait la bonne grâce de l’administration américaine en raison de sa position contre la menace communiste dans la région », rapporte l’article de Wein Webert Arthus pour le site de la revue Nouveaux mondes. Le texte complet peut être lu à cette adresse : https://journals.openedition.org/nuevomundo/70502?lang=en

Simple coïncidence, volonté manifeste de montrer d’où venaient les fonds ou acte délibéré pour montrer que l’aéroport promis est sorti de terre, trois ans plus tard, le 22 janvier 1965, le Dr François Duvalier inaugurait l’aéroport international de Port-au-Prince qui portait son nom à l’époque. Pour les duvaliéristes, ce sont les fonds et les efforts haïtiens qui ont permis cette réalisation. Les Américains avaient-ils promis l’aéroport à Duvalier, ce qu’il rapporte textuellement dans ses mémoires et avaient-ils peu délivré ? On ne le sait pas. John F. Kennedy mourut en novembre 1963.

En 2019, pour rejoindre les États-Unis et lâcher l’allié vénézuélien, qu’espère ou qu’a reçu en retour le gouvernement haïtien ? Il est trop tôt pour le savoir.

Le dictateur François Duvalier, dans ses mémoires, trace la doctrine de la diplomatie de son régime en ces mots : «Une opinion pragmatique voulait que le rôle primordial de la politique extérieure d’un État consiste dans la défense de ses intérêts surtout économiques».

Source/Le Nouvelliste
Photo/Archives
www.anmwe.com