Port-au-Prince, le 11 janvier 2016
Lettre ouverte à mes compatriotes et aux représentants du Corps diplomatique accrédités en Haïti
Chers compatriotes de l’intérieur et de la diaspora,
Après la publication de ma lettre ouverte en date du 30 octobre 2015 adressée aux membres du Conseil électoral provisoire (CEP), dans laquelle je dénonçais le scandale du scrutin parallèle organisé par la Firme espagnole OSTOS & SOLA, le 25 octobre 2015, de concert avec Ms Liné BALTHAZAR, Grégory MAYARD-PAUL, Jean-Baptiste SAINT-CYR, Mmes Ann-Valérie THIMOTÉE MILFORT et Sofia SAINT-RÉMY MARTELLY, j’aurais pu me laver les mains à la manière de Ponce PILATE et m’adonner entièrement à mes activités personnelles et professionnelles. Il m’eût été alors aisé de m’en remettre à la société haïtienne pour accepter ou ne pas accepter d’elle-même l’inacceptable ; pour supporter ou ne pas supporter l’insupportable ; pour exercer ou ne pas exercer son droit à l’indignation et à la révolte. Mais ce serait manquer à mon devoir patriotique que de me rendre complice, par l’inaction, du double crime de lèse-souveraineté populaire et de lèse-patrie fomenté par le président Michel Joseph MARTELLY, le Parti haïtien Tèt-Kale (PHTK) et leurs alliés nationaux et internationaux. À 56 ans, on ne se bâillonne pas par pure peur du courroux du pouvoir et de la vindicte de la communauté internationale. Courber ainsi l’échine, c’est comme si on ne mériterait pas d’avoir vécu. Et, encore moins, de continuer à vivre…
Le combat que je mène aux côtés des sept (7) autres candidats à la Présidence de la République d’Haïti, au sein du G-8, n’a rien à voir avec la défense de mes intérêts personnels. Cette bataille s’inscrit en droite ligne de ma lutte constante pour la défense de principes sacrés liés à la Liberté et à la Dignité humaines, au fonctionnement de l’État de droit et à la Démocratie représentative : cadre indispensable à la mise en branle du processus de normalisation institutionnelle, à la stabilité politique, aux investissements nationaux et aux investissements directs étrangers (IDE) dans notre pays. Le recouvrement de notre souveraineté, la refondation de l’État-nation et de notre système éducatif, la croissance économique, la création d’emplois, le développement durable et le vivre-ensemble en dépendent absolument.
À titre de membre du G-8, je dois mentionner que nous n’étions pas concernés par la formation unilatérale de la Commission d’évaluation électorale présidentielle. Toutefois, j’avoue qu’en tant que patriote responsable, certaines recommandations des commissaires ne m’ont pas laissé indifférent. Je les ai même considérées comme un test permettant de juger de la bonne foi du président Michel Joseph MARTELLY et de ses conseillers. Force est de constater que l’arrêté présidentiel du 6 janvier constitue un camouflet infligé par le pouvoir Tèt-Kale aux institutions qui avaient délégué leurs représentants à ladite Commission et au décret électoral. C’est, hélas, la volonté du prince et celle de l’international qui remplacent désormais les règles du jeu politique. En agissant de la sorte, le président Michel Joseph MARTELLY ne fait que confirmer que le holdup électoral se poursuit et qu’il ne prendrait pas la chance de placer son candidat sur un pied d’égalité avec Jude CÉLESTIN. Pourtant, il s’était engagé au Palais national, lors de la remise du rapport, à appliquer les recommandations de la Commission d’évaluation présidentielle.
Dès lors, une interrogation s’impose : le président Michel Joseph MARTELLY obéirait-il aux ordres de la communauté internationale qui chercherait ainsi à provoquer un tsunami politique en Haïti afin de trouver le prétexte justifiant sa présence indéfinie sur le sol national et la prise en charge du destin du peuple haïtien ? Un tel projet serait lié au fait que les structures fragiles de l’État défaillant haïtien ne garantissent pas l’exploitation par les grandes firmes transnationales des ressources minérales dont regorge notre sous-sol.
Certes, je ne che tirer aucune gloire personnelle de cette considération, d’autant que les ONG ont systématiquement combattu ma candidature à l’élection présidentielle de 2015, en raison de la publication de mon livre : Haïti : l’invasion des ONG. Sans doute, la communauté internationale, à la lumière de mes analyses, a-t-elle reconnu que l’ONGéisation du pays n’est guère la solution : l’État, en dépit de la globalisation, reste l’horizon indépassable.
Mesdames/Messieurs les membres du Corps diplomatique accrédités en Haïti,
En ma qualité de citoyen du pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, je ne me vois pas dispenser à votre intention un cours de théorie de la démocratie représentative et de la modernité politique. Je ne saurais, non plus, prétendre rappeler ici que la démocratie se réfère à un système de relations sociopolitiques, fondé sur des règles précises du jeu politique, lesquelles incluent une procédure claire et préalablement définie pour résoudre ou dépasser les conflits sociopolitiques, quelle que soit leur intensité.
Force est donc de recourir au dialogue ouvert, à la négociation et au compromis pour conduire le processus d’institutionnalisation et obtenir la consolidation d’un système démocratique durable. Un tel système se doit de garantir la participation de tous les citoyens, de tous les secteurs de la société, dans des conditions égales, sans tenir compte de leur idéologie ou de leur position politique, dans les prises de décisions relatives à la gestion de la chose publique. Dans cette optique, la conception procédurale de la démocratie requiert des élites du pays un consensus garantissant le respect des procédés et des règles du jeu.
Mesdames/Messieurs les membres du Corps diplomatique accrédités en Haïti,
Par quelle magie du logos parvenez-vous à convaincre les institutions démocratiques et l’opinion publique de vos pays respectifs que vous travaillez en Haïti à l’organisation d’élections libres, transparentes, crédibles et inclusives ? Selon vous, la décision du président Michel Joseph MARTELLY et du CEP scélérat de la bande à Pierre-Louis OPONT d’organiser le second tour de l’élection présidentielle le 24 janvier prochain, répond-elle honnêtement aux procédés et aux règles établis par le décret électoral régissant le processus électoral en cours ? J’attends la réponse.
Mesdames/Messieurs les membres du Corps diplomatique accrédités en Haïti,
Je ne vous invite pas à partager la souffrance et la douleur de mes compatriotes de l’intérieur et de la diaspora. Vous êtes en Haïti, délégués par vos pays respectifs et les institutions que vous représentez, pour défendre avant tout leurs intérêts propres. Je le comprends volontiers. Mon indignation s’adresse surtout à l’infime minorité de mes compatriotes qui exécutent vos quatre volontés, se montrant même souvent plus royalistes que le roi. Mais si un jour vos pays respectifs étaient conduits à vivre, ne serait-ce que pour une brève période, « l’expérience démocratique haïtienne », sous tutelle onusienne, vous seriez alors en mesure de comprendre ce que représente l’humiliation suprême pour un peuple.
Frères-amis du G-8, comment terminer cette lettre ouverte sans m’adresser à mon ami-frère Jude CÉLESTIN ! Son stoïcisme, tout au long de nos rapports étroits ces derniers jours, m’a agréablement étonné : résister aux pressions de parents, d’amis, de compagnons de lutte et, trop souvent, de la communauté internationale, braver tour à tour la menace du bâton et dédaigner l’attrait de la carotte font de toi, à mes yeux, une légende politique vivante.
Sauveur Pierre Etienne
Anmwe
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