CAP-HAITIEN – Après des années de marronnage, de tergiversations, de mauvaises décisions, Haïti renoue ce 18 novembre 2017 avec les Forces armées d’Haïti. Débandés après leur incursion malheureuse dans la politique de 1986 à 1995, les militaires haïtiens avaient perdu droit de cité. Ils reviennent en parade ce samedi, avec Vertières en ligne de mire, là où les plus belles pages de la lutte armée pour l’indépendance nationale avaient été écrites en 1803.

La décision de ressusciter les FAD’H revient au président Jovenel Moïse comme c’était au président Jean-Bertrand Aristide qu’il appartenait le choix de démobiliser officiers, sous-officiers et soldats. Le président Jovenel Moïse en avait fait la promesse pendant sa campagne électorale. Ce samedi, le nouvel haut état-major de l’armée et un petit contingent de soldats défileront dans les rues du Cap-Haïtien. Le président haïtien fait coïncider le retour de l’armée avec le 18 novembre, date qui, dans le passé, servait à commémorer le jour des Forces armées d’Haïti.

Le président Michel Martelly, avant Jovenel Moïse, avait lui aussi promis de remobiliser les Forces armées d’Haïti sans y parvenir pendant son mandat. Le président Moïse, lui, fait fi des réserves de la communauté internationale et de la froideur de la société civile locale sur la question. Moïse rebande l’armée fort de l’appui de ses alliés politiques du Parlement, de l’assentiment des nostalgiques des uniformes kakis et de tous ceux qui n’ont jamais connu nos FAD’H.

Ceux qui ont en mémoire les coups d’État et l’armée kraze zo, qui avait fini dans une débandade généralisée au retour d’exil de Jean-Bertrand Aristide en 1994, se demandent déjà si on peut faire du neuf avec du vieux.

L’armée, en 1994, après avoir fanfaronné et promis de défendre le pays contre les envahisseurs et le retour de la démocratie symbolisée par le président élu Aristide, s’était évaporée sans tirer un coup de feu au débarquement des premiers soldats américains. Les restes de cette armée pourront-elles construire la nouvelle institution et repartir vers de nouveaux combats ?

Dans sa nouvelle version, selon les idées qui circulent autour de la présidence haïtienne, les Forces armées d’Haïti seront avant tout une force dédiée au génie militaire, au service médical et à l’aviation. En un mot, on veut refaire une armée qui ne sera pas l’ancienne armée. La mission principale sera d’accompagner le processus de développement du pays, disent tous les responsables politiques de l’administration Moïse.

Alors que le sujet devrait être débattu dans les états généraux de la nation promis par le président Jovenel Moïse depuis son investiture en février, mais qui n’ont toujours pas été lancés, la remobilisation des Forces armées d’Haïti apparaît de plus en plus comme une décision partisane. L’armée, promet-on, sera apolitique, mais déjà son retour se fait, sans consensus réel. Le nouvel état-major pourra-t-il se défaire un jour de l’étreinte des bras tutélaires de ceux qui le portent sur les fonts baptismaux ce 18 novembre ?

L’attribut politique est la plus petite des étoiles qui brillent au-dessus de la tête de l’armée. Toute la semaine, des élèves, au Cap-Haïtien, ont manifesté pour réclamer des professeurs dans leurs salles de classe. Depuis plusieurs semaines, dans les écoles publiques de la deuxième ville du pays, les cours ne sont pas dispensés en raison de différends entre le ministère de l’Education nationale et les professeurs. Une énième affaire de lettre de nomination et d’arriérés de salaire alimente la grève des enseignants publics dans cette ville. Le passage du président Jovenel Moïse au Cap-Haïtien et son annonce que le retour de l’armée se fera dans cette ville ont déclenché une réaction des lycéens qui, depuis lundi, manifestent pour rappeler au bon souvenir des dirigeants qu’ils ont des budgets pour toutes sortes de choses, dont l’armée, mais pas pour l’éducation.

En décidant de rappeler les Forces armées d’Haïti dans le jeu politique et de les faire émarger au budget national, le président a oublié de nous dire quel secteur sera amputé de ressources financières et surtout quels combats vont mener les soldats.

L’armée est de retour, Jovenel Moïse, qui n’a pas mené les combats pour une Haïti déliée des entraves de la dictature et de la mainmise des militaires sur la politique, peut se réjouir d’écrire l’histoire, il n’en demeure pas moins que les officiers, sous-officiers et soldats haïtiens devront faire leurs preuves, mener les bons combats, pour ne pas retourner dans les replis de l’histoire comme en 1915 et en 1995.

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Source/Le Nouvelliste
Photo/Archives
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