En République dominicaine, le Plan National de Régularisation des Étrangers (PNRE) s’est révélé une habile illusion et le Programme d’Identification et de Documentation des Immigrants Haïtiens (PIDIH), un fiasco total. La question de l’immigration irrégulière des Haïtiens en République dominicaine est donc loin d’être résolue. En plus des refoulements quotidiens et des déportations arbitraires qui ont continué en 2016, les problèmes sont sur le point de s’aggraver cette année. Plus de 250 000 immigrants haïtiens risquent, à l’instar de 2015, d’être massivement déportés. Le statut de protection valide pour deux ans du PNRE offert à 244 203 immigrants dont 97.8% Haïtiens n’était qu’une mesure temporaire incompatible avec l’idée d’une régularisation définitive des immigrants en situation irrégulière.

L’Eldorado brésilien qui faisait rêver au lendemain du séisme de 2010 s’est effondré cinq ans après à la faveur d’une crise économique sévère. Depuis, la situation se complique pour les Haïtiens au Brésil qui par dizaines de milliers décident de se rendre illégalement aux États-Unis par voie terrestre empruntant une route migratoire clandestine qui traverse une dizaine de pays du sous-continent latino-américain et s’exposant ainsi à des risques majeurs et criminels de nature humaine (trafiquants criminels, abus des autorités migratoires et militaires) et naturelle (montagnes, marais et forêts inhospitalières, rivières en crue, basse température, etc.).

Entre avril et décembre 2016, cette route sortant du Brésil pour atteindre San Diego (Californie, États-Unis) en passant par Pérou, Équateur, Colombie, Panama y compris la région du Darién, Costa Rica, Nicaragua, Honduras, Guatemala et le Mexique a provoqué plusieurs crises humanitaires dans la région. Dans l’intervalle, Costa Rica a laissé transiter sur son territoire 20 208 immigrants haïtiens, africains et asiatiques en route vers les États-Unis qui avaient été bloqués dans un premier temps au Nicaragua et au Panama. Pour leur part, en renforçant les mesures de sécurité à leur frontière, les autorités colombiennes ont rapporté en janvier 2017, avoir bloqué et déporté en 2016, 20 366 immigrés dont 60 % sont des Haïtiens en transit vers les États-Unis. Selon le New York Times, la directrice de l’immigration et des douanes des États-Unis, Sarah Saldaña, avait alerté le Congrès en octobre 2016 que, sur la base des calculs de certains gouvernements de l’Amérique centrale, 40 000 immigrants allaient atteindre les rives américaines.

Toutefois, depuis peu, la route migratoire est devenue de plus en plus fermée aux sans-papiers notamment aux Haïtiens à cause de la levée aux États-Unis le 22 septembre puis le 23 novembre 2016 du moratoire d’interdiction de leur déportation édicté au lendemain du séisme du 12 janvier 2010. Appuyés par les États-Unis, les pays de transit (notamment Costa Rica, Panama et Nicaragua) viennent de signer de nouveaux accords visant à combattre la migration irrégulière par le renforcement de la sécurité au niveau de leurs frontières terrestres. Les tendances à l’endurcissement des politiques migratoires du gouvernement de Trump et l’incapacité accrue des institutions d’assistance humanitaire de répondre aux besoins des migrants en transit, notamment au Mexique, à Tijuana, compliquent davantage la situation.

Face à tous ces obstacles mais n’ayant d’autres choix que de pousser sans cesse les frontières de l’espérance, la majorité des immigrants continuera au péril de sa vie de prendre la route clandestine. Quelques-uns essaieront aussi de prolonger leur séjour dans certains pays de transit. Présentement, le cas le plus emblématique est celui du Chili. Une certaine flexibilité des normes migratoires et la santé économique chilienne (un taux de chômage de 7% en 2016, soit l’un des plus bas en Amérique latine). justifient cette préférence.

En effet, les autorités chiliennes n’exigent pas de visa d’entrée aux ressortissants haïtiens. De plus, elles leur accordent, en vertu des lois migratoires en vigueur, un permis de travail renouvelable et des possibilités d’obtenir dans un bref délai un visa de résidence temporaire. Ainsi, grâce à ces conditions favorables et suivant le Département de l’étranger et de la migration du Chili, en quatre ans, soit de 2013 à 2016, 41 000 Haïtiens se sont installés au Chili, dont presque la moitié y est entrée seulement en 2016. Dès lors, les secteurs conservateurs commencent à exiger la modification (l’endurcissement) de la législation nationale de la migration qui date de 1975. Ils réclament déjà l’expulsion des « indésirables » et parmi lesquels les Haïtiens dont la présence – 2% en 2016 de la population immigrante selon le Ministère de l’intérieur – qui est pourtant largement minoritaire par rapport aux autres immigrants suscite un certain malaise. L’ennui est qu’en dépit de son petit nombre la migration haïtienne est très visible tandis que les chiliens sont habitués à des immigrants européens et latino-américains dont les péruviens qui représentent 38.8 % des citoyens étrangers au Chili.

En outre, même si la croissance économique est encore positive au Chili (2% entre 2015 et 2016), la perception sociale est que le pays régresse. Cela a d’ailleurs fait baisser la popularité de la présidente Michelle Bachelet à un taux record de 20% à la fin de l’année dernière tout en prédisant le retour probable de la droite conservatrice au pouvoir au terme des prochaines élections présidentielles de novembre 2017.

Tout ceci nous porte à croire qu’Haïti se trouve au début de l’année au seuil d’une crise migratoire irrégulière sans précédent. Le nouveau gouvernement est appelé à agir en tenant compte de cette triste réalité qui réclame un grand effort national pour la sauvegarde de notre dignité de peuple.

Concrètement, parmi les mesures à prendre, sur le plan interne et structurel, le nouveau gouvernement devra favoriser l’intégration effective de la question migratoire dans la planification du développement économique local et national. En subjuguant la crise économique par le renforcement systématique du marché du travail au profit de la main d’œuvre en fuite, il pourra aussi chercher à insérer l’apport substantiel que représentent les transferts d’argent de la diaspora (2,196 milliards de dollars américains en 2015, soit 26% du PIB selon le Rapport 2016 de la Banque Mondiale) dans des programmes viables de développement local et communautaire.

Au niveau de sa politique étrangère et dans l’immédiat, le prochain gouvernement devra, à travers ses missions diplomatiques et consulaires, (1) renforcer et rendre opérationnelles les structures et les mécanismes de protection et d’accompagnement des citoyens haïtiens en difficulté dans des pays de transit ou d’installation ; (2) contribuer, en étant plus présent dans les grands espaces de discussion et de décision internationales, à mettre en place des stratégies de solidarité fonctionnelles et des engagements transnationaux via un plaidoyer, ferme et constant, auprès des organisations internationales dont l’ONU et l’OEA.

Aussi, le prochain gouvernement ne devra-t-il pas encourager et appuyer, tant en Haïti qu’à l’étranger, tous les espaces de recherche universitaire, d’échanges et de recommandations sur la migration haïtienne. Le premier grand Forum international sur la migration haïtienne dans les Amériques qui aura lieu les 26 et 27 mai prochains à Carthagène en Colombie sous l’auspice de l’Université Pontificale Javeriana est par exemple l’une de ces premières grandes opportunités à saisir.

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Source/AlterPresse
Photo/Archives
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