Le Mexique est, sans nul doute, un pays solidaire et hospitalier.
Tout au long du XXème siècle, l’histoire de nos réfugié-e-s et exilé-e-s de l’Amérique du Sud, de l’Amérique Centrale, des Caraïbes, voire de l’Europe, ayant fait du Mexique leur nouveau “chez-soi” loin des dictatures et des guerres, constitue un vibrant témoignage[1].
La nouvelle Loi de la migration publiée dans le journal officiel du Mexique, le 25 mai 2011, n’est pas une exception à la règle de l’hospitalité. Elle a maintenu l’hospitalité comme l’un des principes fondamentaux qui devrait continuer à orienter la politique migratoire du Mexique :
« Hospitalité et solidarité internationale envers les personnes qui ont besoin d’un nouveau lieu de résidence de manière temporelle et permanente, en raison des conditions qui mettent en péril leur vie dans leur pays d’origine, selon la tradition mexicaine en ce sens, les traités et le droit international. »[2]
Conjointement avec le Plan Spécial de la Migration, cette Loi fait donc partie de l’architecture du Plan National de Développement (2013-2018), orienté à concrétiser dans la pratique tous les principes et idéaux de la politique migratoire mexicaine.
La mise en application des principes directeurs relatifs à la migration constitue, depuis à peu près le début du XXIème siècle, le talon d’Achille de l’État mexicain, comme l’a bien souligné le chercheur mexicain Jorge Durand[3].
L’un des principes ou le paradigme qui a idéalement fondé la politique migratoire du Mexique a été, du moins au long du XXème siècle et dans les textes juridiques, celui de l’hospitalité.
Les Haïtiennes et Haïtiens, nous avons bénéficié de cette belle “tradition”, à l’époque de la dictature des Duvalier qui a exilé bon nombre d’intellectuels ; certains d’entre eux, dont l’économiste Gérard Pierre-Charles, ont été accueillis par un Mexique solidaire.
Faut-il aussi rappeler que, après le tremblement de terre qui a frappé Haïti le 12 janvier 2010, le Mexique a envoyé sur la rade de Port-au-Prince le bateau Usumacinta pour embarquer vers le territoire aztèque plus de 250 Haïtiennes et Haïtiens en vue d’y faciliter la réunification de ceux-ci avec leurs parents.
Ces compatriotes ont été accueillis par une délégation du président Felipe Calderón au port mexicain de Veracruz.
Le Mexique : terre d’accueil.
Un exemple de solidarité.
L’hospitalité a donc navigué de la baie haïtienne de Port-au-Prince vers le port mexicain de Veracruz.
L’hospitalité a-t-elle fait naufrage ?
Depuis le début du XXIème siècle, l’insécurité et la violence ont fait mainmise sur le Mexique ; des gangs armés ont pris le contrôle du pays.
Cela a évidemment eu de graves conséquences sur toute la vie nationale et, en particulier, sur les migrantes et migrants en quête du rêve américain. Le Mexique, étant un passage obligé.
Trafic de drogue, d’armes à feu et de migrants : une trilogie mortifère et une industrie florissante ayant des tentacules dans l’État mexicain et (avec des groupes illégaux) dans plusieurs pays de l’Amérique latine.
Les comparaisons entre l’actuel Mexique et la Colombie des années 1990 (surtout le Medellín de Pablo Escobar) n’ont pas tardé à voir le jour.
Les mauvaises langues parlent, en ce sens, de la “colombianización de México”.
Du sud au nord du Mexique, les migrantes et migrants ont souffert d’un rosaire de crimes : viols, vols, kidnapping, mutilations, etc.
Des fosses communes, remplies de cadavres de migrants, ont été découvertes.
Des histoires macabres, ayant eu lieu dans La Bestia –le « train de la mort » -, font la une des journaux et des rapports des organismes de droits de l’homme.
Donc, le Mexique s’est transformé en une terre d’enfer pour les migrantes et migrants.
Et ce, en dépit des actions solidaires et hospitalières déployées par des organisations de droits humains, des organismes de l’église catholique apostolique romaine, des défenseurs de migrants et des citoyennes et citoyens du commun des mortels –dont las Patronas-.
Ces défenseurs, qui assistent et protègent des migrantes et migrants, n’ont pas été non plus exempts des exactions du crime organisé, pour lequel le trafic et la traite de migrants constituent une importante source de revenus.
Le Mexique s’est rapidement converti en un des lieux les plus dangereux pour les réfugiés et les migrants (et leurs défenseurs) dans le monde, selon Amnistie Internationale[4].
Cette tradition de l’hospitalité a-t-elle fait naufrage au Mexique, face à l’hostilité qui a régné en maître?
Face à ce changement de paradigmes, de l’hospitalité à l’hostilité, plus d’un n’ont cessé de dénoncer l’indifférence des gouvernements, en particulier, ceux des ex présidents Felipe Calderón (2006-2012) et Enrique Peña Nieto (2012- 30 novembre de 2018).
Le nouveau président mexicain Andrés Manuel López Obrador, ayant pris fonction le premier décembre 2018, va-t-il renouer avec le paradigme de l’hospitalité, dont la protection des droits humains des personnes migrantes et des demandeurs d’asile est un élément essentiel ?
Marquera-t-il la différence avec ses deux prédécesseurs ?
Il est encore trop tôt pour répondre.
Cependant, dans un contexte où la xénophobie se répand de plus en plus au Mexique et le gouvernement semble opter pour le durcissement, des zones d’ombre persistent.
Zones d’ombre
La première zone d’ombre se lève sur la frontière du sud du Mexique, au centre de multiples débats au cours des dernières semaines.
Le 22 avril 2019 semble avoir marqué un avant et un après dans la politique migratoire du nouveau président mexicain.
De multiples organisations de défense des droits de l’homme des migrants et demandeurs d’asile, des artistes, membres de l’Académie, défenseurs de droits humains, ont à l’unanimité condamné « les actions réalisées par le Gouvernement fédéral contre ce groupe de population » au cours de cette journée fatidique.[5]
Ces entités ont vilipendé l’incohérence de ces actions avec la politique migratoire annoncée par le nouveau Gouvernement. Laquelle serait basée, selon le nouveau chef d’État, sur le respect des droits humains des migrants et des demandeurs d’asile.
Une politique qui serait en ligne droite avec un « nouveau paradigme » humain.
Outre ces actions, il y a lieu de souligner tout un paquet de mesures de durcissement migratoire appliqué par la nouvelle administration mexicaine, depuis environ mi-mars, dont : opérations de déportation, refoulement à la frontière, intervention musclée des forces de l´ordre, intimidation dans les points frontaliers avec le Guatemala.
Depuis, les zones d’ombre se multiplient.
Les migrantes et migrants haïtiens à la frontière du sud du Mexique : un cas très compliqué
Au début du mois d’avril, 71 migrants haïtiens ont été déportés dans un vol, qui était parti de la ville de Tapachula (à Chiapas, frontière sud du Mexique avec le Guatemala) en direction de Port-au-Prince, selon l´Institut National de Migration (INM).
D´autres migrants haïtiens ont de plus en plus peur d´être rapatriés dans leur pays d´origine, qu´ils ont fui en raison de la misère, du manque d´opportunités et du désespoir.
Ils veulent à tout prix poursuivre leur voyage vers les États-Unis. Ils caressent encore le « rêve américain », face au cauchemar que vit leur pays en ce moment de crise politique et de misère. Ou, du moins, ils préfèrent rester au Mexique.
Selon des médias locaux de Chiapas, il y aurait plus de 300 Haïtiennes et Haïtiens qui seraient rentrés fin-avril à Tapachula par la rivière Suchiate à bord de radeaux de fortune[6].
Cette information a été corroborée par Wilner Mételus, président de l’organisation CCDAN (Comité Ciudadano en Defensa de los Derechos de los Afrodescendientes y Naturalizados).
Selon ce défenseur des droits des migrants, ces Haïtiennes et Haïtiens font face à de très mauvaises conditions de vie (sans nourriture, sans eau potable, sans argent), voire à une sérieuse crise humanitaire.
Ils ne reçoivent aucune assistance consulaire et souffrent de la discrimination et du racisme dans cette zone du Mexique, dénonce-t-il.
Aussi faut-il souligner que, jusqu’ici, le Gouvernement mexicain a suspendu la délivrance de documents qui pourraient permettre aux migrants de continuer leur chemin vers les États-Unis d´Amérique.
Notons que ces Haïtiennes et Haïtiens viennent de faire un périple de plusieurs semaines, voire de quelques mois, depuis le Brésil, le Chili ou l’Équateur.
Donc, ils ont dépensé, au cours du périlleux trajet, le peu d´argent qu´ils avaient.
Des mères, des enfants et des jeunes sont affamés, assoiffés, désespérés, exténués et abandonnés à leur sort.
Ils sont encore loin de voir le bout du tunnel.
Cette situation très compliquée a attiré l’attention des médias et organismes internationaux.
Par exemple, UNICEF[7] a recueilli, entre autres témoignages, celui de Paul Eneceron.
Il est un jeune haïtien de 21 ans, qui a commencé ses études en économie à Port-au-Prince. Il a dû abandonner ses études, après le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
Ce jeune a émigré au Chili et y a travaillé pendant plus de 2 ans et demi, avant de prendre la route vers le Mexique où il se trouve actuellement bloqué.
« Il a traversé le Pérou, l’Équateur et la Colombie », souligne l’article de l’UNICEF.
Au cours de la traversée, il a perdu ses documents de voyage dans la forêt du Darien au Panama, quand des bandits ont pointé des pistolets sur lui et lui ont tout réclamé : argent, vêtements, documents, etc.
Face à cette situation, une polyphonie de voix tant au Mexique que dans le monde n´a pas tardé à dénoncer l´hostilité et la brutalité des forces de l´ordre mexicaines contre les migrantes et migrants, ainsi que le soudain « revirement » de la politique migratoire du nouveau chef d´État mexicain.
Sensible à ce drame humanitaire, le pape François a fait un don de 500 mille dollars américains en faveur des migrantes et migrants bloqués à la frontière du sud du Mexique.
Plus d’un sont donc restés perplexes devant ces actions jugées « inhumaines » de la nouvelle administration du président mexicain Andrés Manuel López Obrador, considéré comme un dirigeant progressiste qui n´entendait pas « faire le sale boulot » au grand voisin du Nord.
Dans ce contexte, le désespoir a, au début du mois d´avril, poussé des migrants à protester devant le bureau de la Migration « Siglo XXI » à Tapachula pour exiger que leur situation soit prise en compte par les autorités mexicaines.
L´administration mexicaine a réagi de manière ferme.
La ministre de l´Intérieur, Olga Sánchez Cordero, a affirmé : « La seule chose que le Mexique exige d´eux [les migrants] est qu´ils respectent les lois mexicaines et les autorités…. Sauvegarder le contrôle de notre frontière Sud n´est pas une option, mais une obligation de l´État mexicain.”
Des hypothèses et opinions sur ce “revirement”
Plusieurs hypothèses et opinions ont été avancées.
Tout semble indiquer que l’actuelle administration mexicaine aurait été dépassée par ces grands flux migratoires qui ont, au début de l´année, atteint un niveau si élevé que la frontière n´avait pas connu, depuis il y a 12 ans.
Le nouveau gouvernement, n’ayant aucune expérience en la matière, aurait été surpris par les évènements et aurait fini, après plusieurs improvisations sans succès, par choisir la voie la plus facile : celle du durcissement (déportation, fermeture, militarisation, défense de la souveraineté nationale), au détriment de la protection des droits de l´homme.
Les multiples pressions exercées par Donald Trump, qui a même menacé de fermer la frontière avec le Mexique, auraient gain de cause. Ce qui aurait obligé le président mexicain à agir en faveur de son premier socio commercial (le volume du commerce bilatéral entre les deux pays s´élève à plus de 1.700 millions de dollars), en détenant par tous les moyens les flux migratoires mondialisés en provenance de l´Amérique Centrale, des Caraïbes (Haïti et Cuba) et de l´Afrique pour éviter à tout prix leur arrivée à la frontière commune.
Des critiques plus acerbes, dont celle du président de Mexa Institute Jorge Santibañez, se réfèrent à l’engagement qu’aurait déjà pris le président du Mexique en vue de freiner les flux migratoires arrivant au Mexique ; ce qui, à ses yeux, « est une expression concrète du manque d’expérience de cette administration et de son orgueil».[8]
Source/Migrance
Photo/Wilner Mételus
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