WASHINGTON DC – La justice américaine a mis la Russie et le Kremlin sur la sellette, vendredi, en inculpant treize Russes, dont un proche de Vladimir Poutine, pour avoir favorisé la candidature de Donald Trump à l’élection présidentielle de 2016.

Longtemps niée par Donald Trump, la réalité d’une tentative russe de peser sur la présidentielle de novembre 2016 a pris une nouvelle consistance, vendredi 16 février, avec la mise en cause par le ministère de la justice de treize ressortissants et de trois entités russes. Ils sont accusés d’avoir voulu peser sur les débats aux Etats-Unis, principalement par le truchement de réseaux sociaux instrumentalisés à distance par des agents se présentant faussement comme des citoyens américains.

La Maison Blanche a rapidement réagi aux avancées de l’enquête conduite par le procureur spécial Robert Mueller. Mais, plutôt que de dénoncer une ingérence de la Russie, la présidence a préféré mettre en avant des éléments qui innocentent, selon elle, Donald Trump.

Tout d’abord la date du lancement de cette machination, antérieure à la déclaration de candidature du milliardaire. Ensuite, l’absence à ce stade – précisée par l’acte d’accusation – de tout élément de collusion consciente entre l’équipe de campagne du candidat républicain et ces agents russes. Le fait, enfin, que le résultat de l’élection n’a pas été « affecté » par cette campagne. La formulation utilisée, vendredi, par le numéro deux du ministère de la justice, Rod Rosenstein, laisse plutôt entendre que l’acte d’accusation ne s’est pas penché sur des conséquences éventuelles sur le vote du 8 novembre 2016, évidemment délicates à établir.

« Chasse aux sorcières »

Le volet de l’enquête exposé vendredi ne vise que l’offensive russe sur les réseaux sociaux. Il ne concerne pas les piratages informatiques ciblant des responsables démocrates pratiqués pendant cette même période et également prêtés à la Russie, ni les contacts noués au même moment par des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump avec des personnalités russes.

Les bonnes nouvelles mises en avant par la Maison Blanche ont également été relativisées par la description extrêmement détaillée d’une opération longtemps qualifiée de « bobard » et de « plus grande chasse aux sorcières de l’histoire des Etats-Unis » par le président Trump.

En dépit du rapport resté classifié qui lui avait été présenté en janvier 2017 par le renseignement américain, Donald Trump n’a cessé de répéter que cette affaire avait été montée de toutes pièces par le Parti démocrate pour s’exonérer de toute responsabilité dans sa défaite inattendue.

Après une brève rencontre avec son homologue russe, Vladimir Poutine, en marge d’un sommet régional au Vietnam, en novembre 2017, le président américain avait ainsi déclaré : « Chaque fois qu’il me voit, il me dit : “Je n’ai pas fait ça” et je le crois vraiment quand il me le dit. » Donald Trump avait ensuite réitéré sa confiance dans ses services de renseignement après une vive réaction de la CIA.

Véritable film d’espionnage

L’acte d’accusation, qui se lit parfois comme le script d’un film d’espionnage, assure que les agents russes mobilisés pour la circonstance ont fini par se fixer un agenda précis : favoriser le candidat républicain, y compris face à ses rivaux des primaires, dénigrer au contraire son adversaire démocrate, Hillary Clinton, et tenter de démobiliser des électorats jugés favorables à l’ancienne secrétaire d’Etat. Des accusations qualifiées d’« absurdes » par Moscou, vendredi soir.

Les premières inculpations annoncées à l’automne 2017 par le procureur spécial avaient visé des infractions découvertes par les enquêteurs sans lien direct avec les soupçons d’interférences (fraude fiscale et mensonges au FBI). Celles-ci visent, au contraire, l’un des objets précis d’une enquête qui ne semble pas proche de son terme et que Robert Mueller est parvenu, jusqu’à présent, à conduire dans la plus grande confidentialité.

Ces dernières semaines, le procureur spécial et Rod Rosenstein étaient la cible d’une campagne de déstabilisation conduite par des fidèles du président. Il est probable que les annonces de vendredi les confortent au contraire dans leurs fonctions.
La solidité apparente de l’acte d’accusation va aussi mettre Donald Trump à l’épreuve sur un sujet à propos duquel il ne cesse d’entretenir l’ambiguïté. Le 30 janvier, le président a ainsi laissé passer une date limite pour imposer des sanctions visant la Russie votées à la quasi-unanimité par le Congrès, en riposte justement à ces accusations d’interférences. Le département du Trésor s’est contenté de publier une liste de personnalités russes désormais dans le viseur de Washington.

Guerre d’influence

Le risque, pourtant, persiste. Le 13 février, au cours d’une audition annuelle au Sénat consacrée aux menaces internationales, les responsables du renseignement américain ont assuré que la Russie n’a pas renoncé à cette forme de guerre d’influence.

« Au sein de la communauté [du renseignement], nous n’avons pas vu de preuve de changement significatif », a expliqué Dan Coats, le directeur du renseignement national, approuvé notamment par Mike Pompeo, responsable de la CIA. « Il ne devrait y avoir aucun doute sur le fait que la Russie estime que ses efforts ont porté leurs fruits [en 2016] et considère les élections de mi-mandat en 2018 comme une cible pour des opérations d’influence », a ajouté Dan Coats.

Lorsque le sénateur démocrate Jack Reed (Rhode Island) a demandé aux responsables quelles « actions spécifiques » le président leur a indiqué de mettre en place « pour contrer et limiter » ces efforts prêtés à la Russie, Dan Coats et le directeur du FBI, Christopher Wray, ont bien été en peine d’en indiquer une seule.

« Nous ne pouvons pas faire face à cette menace, qui est sérieuse, avec une réponse de l’ensemble de l’administration, lorsque le chef de cette dernière continue de nier qu’elle existe », s’est agacé le sénateur indépendant du Maine Angus King.

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Source/Le Monde
Photo/Archives
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