En l’espace d’une semaine, Haïti est sorti de la carte touristique internationale et signe son retour sur la liste noire des tour-opérateurs internationaux anéantissant ainsi des années d’efforts et de travail ayant permis d’atteindre ce résultat. Les plateformes en ligne enlèvent Haïti de leurs réseaux, tant au niveau des réservations d’avion qu’au niveau des réservations d’hôtel.


Les principaux pays amis d’Haïti (Etats-Unis, France et Canada) demandent à leurs ressortissants de ne plus voyager ou d’éviter tout voyage non essentiel en Haïti en raison de la détérioration de la situation sécuritaire dans le pays. Le niveau d’alerte du département d’Etat américain concernant les voyages en Haïti est donc passé à 4, soit le dernier niveau.

Pour la présidente de l’Association Touristique d’Haïti (ATH), Beatrice Nadal Mevs, joint par téléphone lundi en début d’après-midi, « l’image du pays a pris un sacré coup ». « La frappe économique est terrible », a-t-elle souligné avant de se lancer dans une série d’interrogations qui, pour l’instant, sont sans réponse.

Comment relancer l’image du pays ? Que faire pour redresser le secteur touristique ? Comment redonner confiance aux gens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ? Quelle garantie on a pour demander aux touristes de revenir ?

Autant de questions auxquelles elle a été incapable d’apporter une réponse après les événements de ces derniers jours qui ont totalement paralysé l’industrie du tourisme et du voyage.

Les premiers effets directs des manifestations de l’opposition politique contre le pouvoir en place, déclenchées le jeudi 7 février dernier, sur l’industrie du tourisme haïtien commencent déjà à se faire sentir, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale.

Si pour l’instant la présidente de l’ATH ne peut pas quantifier les pertes enregistrées ces derniers jours par le secteur, elle admet sans l’ombre d’un doute qu’elles sont énormes. Dans le secteur hôtelier tout d’abord.

Richard Buteau, à la tête d’un groupe propriétaire de quatre hôtels établis dans la zone métropolitaine, dit avoir « les deux bras coupés ».

« Nous avons creusé un trou tellement profond que je ne vois pas la lumière, je ne vois pas comment on va s’en sortir », a déclaré au Nouvelliste l’hôtelier qui se dit attristé par l’inconscience mais aussi par les résultats de ce qui vient de se passer dans le pays.

Pour la première fois depuis l’ouverture de Karibe Convention Center, fleuron du groupe, nous avons atteint ce niveau de 4 chambres occupées, a confié au journal Richard Buteau. « Avec 4 chambres occupées, je ne peux plus soutenir mes 250 employés à plein temps ainsi que mes 80 autres à temps partiel », a-t-il poursuivi.

« C’est la première fois depuis l’ouverture de l’hôtel [Karibe] qu’on vit des moments aussi difficiles et en même temps on est obligés de renforcer notre sécurité, de se battre pour du carburant, pour s’approvisionner, pour trouver de l’eau tandis qu’on ne dispose même pas de moyens de survie », a déploré Buteau estimant au final que les perdants ne sont autres qu’Haïti, les mille employés de son réseau, ses fournisseurs de légumes et de fruits de mer.

Pire, pour Buteau, « Haïti n’existe plus » sur la carte touristique internationale.

Même son de cloche du côté de Richard Morse, propriétaire de l’hôtel Oloffson, qui a confirmé pour la rédaction que son hôtel enregistre beaucoup d’annulations pour le mois de février.

Suite à la recommandation du ministère des Affaires étrangères français (Quai d’Orsay) de « reporter tout voyage à destination d’Haïti » émise le 11 février dernier, le tour-opérateur français Boomerang, en train de rapatrier tous les vacanciers sur place, a décidé d’annuler jusqu’au 18 février le voyage d’une trentaine de ses clients qui étaient sur le point de rejoindre le Royal Decameron.

A en croire le principal site web français des professionnels du tourisme, Le Quotidien du tourisme, la recommandation émise par le Quai d’Orsay sur son site Conseils aux voyageurs a déjà provoqué le blocage des routes touristiques vers Haïti ainsi que l’organisation du départ des vacanciers sur place, l’arrêt des ventes sur le Coralia Club Royal Decameron Haiti Beach jusqu’au 18 février, et surtout l’association des tour-opérateurs qui conseille d’annuler jusqu’à nouvel ordre les excursions vers Haïti.

Le tour-opérateur Boomerang a également décidé de rembourser le coût du séjour de ses clients qui n’ont pas pu se rendre jusqu’au Royal Decameron Beach et qui ont dû s’arrêter à la sortie de leur avion dans un hôtel à proximité de l’aéroport international Toussaint Louverture, soit une cinquantaine de personnes au total.

Pour l’heure, il est difficile pour le tour-opérateur de préciser pour combien de temps le Royal Decameron restera fermé. La saison du Coralia Club en Haïti est normalement prévue jusqu’au 14 avril. D’ici là, aucune certitude qu’il y aura une réouverture du club.

Marie-France Petoia, présidente de l’Association haïtienne des agences de voyages, pense que les conséquences vont continuer à se faire sentir jusqu’en été, la saison de grands mouvements dans le secteur voyage.

Elle parle de 250 annulations pour les mois de mars et d’avril, rien que pour son agence de voyages, dont un groupe de footballeurs, de danseurs folkloriques qui devaient partir et aussi des touristes étrangers qui devaient se rendre à Jacmel.

Beaucoup d’hommes d’affaires qui devaient partir ont annulé leur voyage, a confié au Nouvelliste une source bien informée qui a souhaité garder l’anonymat. Une autre source anonyme a aussi informé le journal de l’annulation du voyage d’une trentaine de personnes qui devaient se rendre à Decameron pour un mariage.

A noter qu’une grosse incertitude plane sur le secteur voyage quant à l’organisation ou non du carnaval national prévu les 4 et 5 mars prochains. Les agences de voyages se demandent si les gens vont venir pour le carnaval national.

« Nous remettre sur la carte, cela va prendre du temps […] Nous avons fait un bond en arrière considérable », a regretté Marie-France Petoia, consciente que son secteur est très touché.

L’année 2019 s’annonce difficile pour le secteur touristique

Pour Béatrice Nadal Mevs, les pertes dans le secteur ont commencé depuis les événements des 6 et 7 juillet et elles ont continué le 18 novembre, avec pour conséquence la fin d’année qui n’a pas été ce qu’elle aurait dû être.

Ainsi, la présidente de l’ATH demande des garanties pour la sécurité des routes, l’accompagnement du gouvernement. « On ne peut pas se permettre d’avoir des routes bloquées », a-t-elle déclaré précisant que depuis tantôt un an, avec les problèmes au niveau de Martissant, les opérateurs de Jacmel, des Cayes et de Port-Salut sont anéantis.

Effondrée par les années d’efforts et de travail pour remettre Haïti sur la carte internationale, sur les sites internationaux de réservation parties en fumée en l’espace de quelques jours, Mme Mevs reste quand même convaincue que le « tourisme est vraiment l’industrie qui peut permettre au pays de se relever économiquement rapidement ».

« On ne va pas baisser les bras », a-t-elle lancé, résolue, et surtout décidée à tirer vers l’avant cette industrie transversale mais rendue fragile par l’instabilité politique chronique qui ronge le pays.
Source/Le Nouvelliste
Photo/Archives
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