MONTRÉAL, Canada – « L’occident mentait à l’homme noir, à l’homme jaune, à l’homme blanc. Il mentait au moins depuis 4 siècles, à tous les colonisés de la terre.» ( René Dépestre, Mémoire du Néo libertinage: Alléluia Pour Une Femme Jardin)
Les dernières déclarations du président américain, Donald Trump, à l’encontre des pays tels que: Salvador, Haïti et tout le continent noir, l’Afrique, soulèvent un tollé de réactions en Haïti, aux États-Unis et dans les autres pays du monde, à savoir que, l’Amérique n’a plus de place pour les immigrants noirs; il faut inviter de préférence_ selon les propos attribués au sieur Trump _ les Caucasiens de l’Europe à y venir afin de perpétuer la domination de la race blanche tout au cours du 21ème siècle aux États-Unis. Pointer Haïti du doigt en ce carrefour historique de grandes difficultés économiques, sociales et politiques ressuscite la mémoire de toute une série d’expériences malheureuses qu’Haïti a connues pendant plus de 200 ans des mains des puissances occidentales. Haïti n’est pas à son premier coup d’essai d’accusations farfelues et fantaisistes dans le but exclusif de détruire ce territoire exclusivement nègre. Pour bien comprendre cette nouvelle vague de dénigrements du gouvernement américain, il faut bien remonter dans l’histoire.
La fondation d’Haïti comme état libre du colonialisme et de l’esclavagisme a été perçue comme une menace pour l’occident. Ainsi, la nouvelle république devait être punie, ce qui fut unanimement accepté comme axiome politique par les anciennes puissances coloniales.
Les hostilités commencèrent de très tôt.
Thomas Jefferson, le troisième président américain faisait de l’indépendance d’Haïti un sujet personnel qu’il jurait de détruire par tous les moyens. À ses yeux, la nation naissante était une impertinence, une vague tumultueuse au milieu d’un océan colonial si tranquille. Ainsi, George Logan, sénateur de l’état de Pennsylvanie, introduisit une loi réclamant un embargo commercial contre Haïti, spécialement au niveau des armes. La loi fut approuvée en 1806 sous la présidence de Thomas Jefferson. Et, les États-Unis attendirent jusqu’en 1962 pour reconnaître Haïti comme un état souverain à part entière. Ceci, en pleine guerre civile, sous l’administration d’Abraham Lincoln.
En 1825, la France imposa une indemnité à Haïti, via une ordonnance, pour reconnaître son indépendance au prix de 150 millions de franc-or, ce qui équivaut aujourd’hui à 22 milliards de dollars américains. Haïti a mis 125 ans, soit en jusqu’en 1952, pour éponger finalement cette dette insupportable, ce qui a considérablement perturbé son développement économique et le progrès social.
Charles X avait pris soin d’accompagner « l’ordonnance par une Armada de 14 bâtiments de guerre armés de 528 canons.» Les États-Unis n’avaient pas protégé Haïti contre l’agression française. Il faut le noter: en dépit de l’application de la doctrine de Monroe dans l’hémisphère dès 1823, « l’Amérique aux Américains», formulée par John Quincy Adams, ministre des affaires étrangères du président Monroe, les nègres d’Haïti étaient toujours seuls.
Je dois rappeler aussi qu’en 1826, Simon Bolivar a évité tout simplement d’inviter Haïti à prendre part au congrès panaméricain, quoi qu’Haïti fût le père du panaméricanisme à partir de l’aide militaire, financière et vivrière qu’Alexandre Pétion avait données à Miranda et à Bolivar, en échange de la libération de tous ceux qui croupissaient dans l’esclavage dans les pays andins.
En 1861, le général espagnol du nom de Rubalcava _ sous l’accusation qu’Haïti troublait l’ordre public en République Dominicaine, alors sous protectorat espagnol, en armant et finançant les mouvements indépendantistes dans ce pays pour saper le régime établi_ allait insulter toute une nation. À la tête d’une flotte de plusieurs navires de guerre, l’Espagne imposa une indemnité de 200 piastres à Haïti et le salut de 21 coups de canon au drapeau espagnol. Fabre Geffrard, président de l’époque, a failli; et, l’âme haïtienne fut humiliée encore une fois. La doctrine de Monroe était déjà en place dans l’hémisphère. Les États-Unis n’avaient levé le petit doigt pour prendre la défense de la première république nègre.
En 1872, Vineta et Gazella, deux navires Allemands se présentèrent dans la rade de Port-au-Prince pour exiger le paiement de 15.000 dollars aux deux ressortissants du Kaiser, en l’occurrence Dickmann et Stapenhort, prétextant qu’ils avaient perdu du commerce sous les gouvernements antérieurs. Le capitaine de la flotte, Bastch, réclama 3.000 livres sterling du gouvernement haïtien et saisit deux bateaux de guerre haïtiens qui mouillaient dans la rade. Nissage Saget, président d’alors, paya la somme réclamée. Les navires furent restitués, mais avec leurs drapeaux souillés de matière fécale.
Vingt-cinq ans après avoir volé les 3.000 livres sterling, soit en 1897, les Allemands faisaient des leurs à nouveau. Cette fois-ci, Guillaume II a voulu donner une leçon aux « nègres qui parlent français.» Le nommé Luders, un ressortissant allemand, après avoir roué de coups des policiers haïtiens, au cours d’une altercation qui ne lui concernait même pas, fut arrêté et jugé pour passer trois mois en prison. Il alla en appel. Le juge de la cour d’appel a ajouté neuf mois à la durée de la première condamnation. Finalement gracié par le président de la république, il rentra chez lui en Allemagne. Arrivé là-bas, il fit un vacarme autour de l’affaire jusqu’à retenir l’attention du roi Guillaume II. Ce dernier s’empressa d’envoyer deux navires de guerre allemands dans les ports de Port-au-Prince avec l’ordre formel de mettre à genoux les nègres d’Haïti. Thiel, le commandant de l’expédition, présenta un ultimatum exigeant 20.000 dollars comme dédommagement à Luders, des excuses publiques au gouvernement allemand, une salutation de 21 coups de canon au drapeau de ce pays, l’annulation de la condamnation de Luders _ tout ceci dans une période de quatre heures d’horloge.
Le président Tiresias Simon Sam capitula. « Ces Allemands» eurent gain de cause. Oswald Durand, ce grand poète national, publia ce texte à jamais mémorable: « Ces Allemands», pour immortaliser l’affaire. Il y exprima l’amertume de chaque haïtien: «Nous jetâmes l’argent avec le front haut et l’âme fière, ainsi qu’on jette un os aux chiens.»
En 1889, les États-Unis voulaient s’emparer du Môle Saint Nicolas pour en faire un dépôt de charbon. Benjamin Harrison, président américain, envoya l’amiral Gherardi dans les eaux haïtiennes avec 2000 hommes, et 100 canons pointés vers la capitale. Anténor Firmin, le grand, ministre des affaires étrangères, s’était battu avec rage et intelligence pour repousser cette demande, non sans l’aide de l’ambassadeur d’Haïti à Washington, Mr Hannibal Price. C’était de courte durée, mais la tension était de haute intensité.
1915, après quatre ans de turpitude politique au cours de laquelle six présidents séjournèrent au palais national, les marines américains débarquèrent dans le pays. Ils entrèrent en possession de la réserve d’or nationale et l’emporta à New York. Puis, ils occupèrent le pays. Ils y restèrent pendant 19 ans, tout en prenant soin de favoriser la République Dominicaine dans le tracé de la frontière en 1929. L’occupation états-unienne de 1915 a fait plus de 50.000 morts dans le pays, surtout dans le milieu paysan qui fut particulièrement hostile à la présence de l’armée étrangère sur le sol national, conformément à l’idéal dessalinien. Le massacre de Marche-à-Terre resta très vif dans la mémoire collective des habitants de la zone pendant des décennies. Sans oublier les méfaits de la SHADA (Société Haïtiano-Américaine de Développement Agricole) mise sur pied le 30 juillet 1941 sous le règne du moribond Elie Lescot. Cette piètre initiative affamait plus d’un, car elle consistait à remplacer des plantations de nourriture par la production du caoutchouc.
L’occupation américaine n’était pas bénéficiaire à Haïti. Au contraire, le contrôle de nos douanes et l’ensemble des recettes publiques furent utilisés pour éteindre des arriérées de dette aux États-Unis et à la France.
1937! 25.000 Haïtiens furent massacrés en République Dominicaine à partir d’un appel au meurtre du président Raphael Trujillo aux sbires dominicains. Ce fut un acte de guerre. Encore une fois, le leadership haïtien faisait piètre figure. Le président Sténio Vincent s’était enfoui dans une démarche diplomatique inopportune dans laquelle le pays n’avait rien bénéficié. Quoique l’armée haïtienne dans son écrasante majorité fût prête à faire la guerre pour défendre l’honneur national!
Au mois de mars 1983, le Center for Disease Control (CDC) classa Haïti abusivement dans une équation de «4 H» qui serait responsable de la maladie du SIDA aux États-Unis. Il a fallu une grande manifestation populaire d’haïtiens ayant bloqué le pont de Brooklyn, New York pendant des heures pour dissuader les dirigeants américains à enlever Haïti de cette liste de stigmatisation.
En 1994, les «Blancs Américains» débarquèrent encore sous la rubrique de restaurer la démocratie après 3 ans d’un coup d’état féroce qui avait fait plus de 5000 cadavres.
En moins d’une décennie, soit le 29 février 2004, les «Blancs» débarquèrent à nouveau, après que des écervelés du gros commerce et de l’intelligentsia aient boycotté la célébration des deux cents ans d’histoire de la République d’Haïti. Aujourd’hui encore, nous avons plusieurs milliers de soldats étrangers dans le pays, n’ayant pas accompli grand-chose, si ce n’est l’introduction du choléra responsable de 12.000 morts et des dizaines de milliers de victimes.
Récemment, en plein 21ème siècle, la déclaration du premier citoyen du pays étoilé, Donald Trump, vint empirer les choses pour Haïti. Trump a propulsé Haïti dans les médias internationaux, mais tristement. Il attribue l’épithète «shithole» (trou de merde) à la terre de Dessalines. Nous devons faire face à cette nouvelle vague de calomnies, comme toujours depuis plus de 200 ans! On a un groupe qui s’accapare du pouvoir politique dans le pays depuis 2010; cependant, il n’a aucun sens de l’histoire, voire sa mission au profit de la république. Les propos orduriers de Trump sont de nature à donner feu vert aux institutions et aux groupes d’extrême droite de discriminer, lyncher des Haïtiens sans sourciller. Haïtiens, des serpents sont entrain de siffler sur nos têtes. À de nous de leur opposer une farouche résistance!
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Source/Mondialisation.ca
Photo/Archives
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