MONTREAL, Canada – Haïti a connu sa part de turbulences, mais la crise qui secoue le pays depuis un mois est d’une ampleur inédite, affirme le leader syndical haïtien Jean Bonald Golinsky Fatal.

De passage à Montréal cette semaine, ce dernier affirme que ces tensions ne se résorberont pas tant que le président Jovenel Moïse, accusé de corruption et considéré comme illégitime par une grande partie de la population, continuera à s’accrocher au pouvoir.

M. Fatal appelle d’ailleurs Ottawa à cesser de soutenir le président Moïse.
Le Canada doit arrêter de cautionner un gouvernement qui viole tous les droits de la personne.

Jean Bonald Golinsky Fatal, président de la Confédération haïtienne des travailleurs et travailleuses des secteurs public et privé

M. Fatal préside la Confédération haïtienne des travailleurs et travailleuses des secteurs public et privé, un syndicat qui regroupe 22 000 membres, et qui fait partie d’un regroupement d’organisations de la société civile qui tente de trouver une sortie de crise en Haïti. Il assistait cette semaine à Montréal au congrès du Syndicat canadien de la fonction publique.

Selon lui, Haïti est à la croisée des chemins. Ou bien le gouvernement de Jovenel Moïse démissionne, pour être remplacé par un gouvernement de transition qui permettra de « remettre à l’heure les pendules » de la démocratie haïtienne. Ou bien Haïti s’enfoncera dans la violence.

« Ça passe ou ça casse », résume-t-il.
Car au-delà de la flambée des prix qui avait suivi l’arrêt des subventions au carburant, il y a un an, politique qui a depuis été annulée, au-delà d’une inflation de 20 % et d’une dégringolade de la valeur de la gourde, au-delà de l’appauvrissement d’un peuple qui figure déjà parmi les plus pauvres de la planète, ce que le mouvement de protestation actuel met en cause, c’est le lien de confiance anéanti entre la population et ses dirigeants.

Fin mai, la Cour supérieure des comptes a accusé Jovenel Moïse d’être au cœur d’un « stratagème de détournement de fonds » issus de l’aide financière fournie par le Venezuela entre 2008 et 2018. L’ONU soutient par ailleurs qu’un membre du pouvoir exécutif pourrait avoir été impliqué dans un massacre commis dans La Saline, un quartier pauvre de Port-au-Prince, il y a un an. Cette histoire soulève « la possibilité de complicité entre les gangs et l’État », écrit l’ONU dans un récent rapport.

En juillet dernier, la nomination d’un nouveau premier ministre, Fritz William Michel, soupçonné lui aussi de corruption, a été la goutte qui a fait déborder le vase, explique M. Fatal. Le Sénat devait ratifier cette nomination en septembre. La séance s’est terminée dans le chaos. C’est là que les rues sont entrées en ébullition.

Démocratie malade
« Nous ne pouvons pas continuer avec Jovenel Moïse, ce président est tellement détesté qu’on ne peut même pas l’inviter à une cérémonie officielle », fait valoir M. Fatal.

Il donne l’exemple de l’évènement public qui devait souligner la rentrée judiciaire, lundi dernier. Le président Moïse devait y assister. « Mais il y a eu un appel à la mobilisation et la cérémonie a dû être annulée. »
Si le président est le symbole d’une démocratie malade, c’est toute la classe politique haïtienne qui se trouve dans la ligne de mire des manifestants, explique le syndicaliste.

« Si on en est arrivé là où on en est, c’est que ce gouvernement se comportait comme un subalterne du président. »

« Nous vivons dans une caricature de démocratie », dénonce M. Fatal, montrant du doigt un système judiciaire à deux vitesses, qui assure l’impunité aux pires criminels.

« Il faut faire table rase de ce système et recommencer à neuf », dit-il.

Oui, mais encore ?

Selon le syndicaliste, une coalition rassemblant des groupes représentant différents segments de la société civile – syndicats, patronat, défenseurs de droits de la personne, églises, artistes, paysans – tente de trouver une voie de sortie pour Haïti.

Tout le monde s’entend pour réclamer le départ du président. Mais après ? « Nous ne voulons pas de nouvelles élections, on veut plutôt un gouvernement de transition qui pourrait convoquer une Conférence nationale souveraine chargée de tracer un chemin, du point A au point B, pour que ce pays démarre vraiment. »

Aujourd’hui, assure M. Fatal, la société civile et l’opposition sont prêtes à dialoguer avec le gouvernement pour en arriver là. Mais ce dialogue sera impossible tant que Jovenel Moïse restera en place.

Source/La Presse
Photo/Archives
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