Montréal, Qc – Peu de journalistes ont un c.v. aussi riche que lui. A 41 ans, François Bugingo fait autorité au Québec pour ses analyses et ses reportages au cœur de tous les conflits de la planète des vingt dernières années. Mais la réputation enviable de ce journaliste vient d’être brutalement ternie. Il aurait « bidonné » la plupart de ses grands reportages.

Bien des jeunes journalistes québécois enviaient la carrière de François Bugingo. Chroniqueur respecté et grand reporter de guerre, il avait tout « couvert ». Du Rwanda à la Somalie, du Sri Lanka à la Bolivie, aucun lieu de conflit ne lui semblait étranger.

Sa carrière démarre en 1994 au moment du génocide du Rwanda, là « où il est devenu un homme », écrit-il. Il a tout juste 20 ans. Il assure y avoir réalisé plusieurs reportages. Problème : on ne trouve aucune trace de ce travail. Il soutient alors avoir fourni à Jean Hélène, envoyé spécial de RFI à l’époque, l’essentiel de ses articles sous forme de notes. Impossible de vérifier puisque notre confrère Jean Helène est mort en 2003, mais selon Christophe Boisbouvier qui a été interrogé par La Presse, le nom de François Bugingo ne figure ni dans les archives, ni dans les relevés de collaboration…

Des anecdotes criantes de vérité

Le journaliste n’est jamais avare d’anecdotes, de celles qui sont censées donner le sceau de l’authenticité à un reportage. Ainsi en Libye, à Misrata, il raconte les derniers instants d’un tortionnaire dévoué à Kadhafi. A propos du siège de Sarajevo, il évoque l’émouvante et délicate prestation à la guitare d’un tireur d’élite pourtant sans foi, ni loi…

Des récits et des souvenirs des événements qu’il assure avoir couverts dans 152 pays, François Bugingo en a tant que cela a fini par mettre la puce à l’oreille. Comment démêler le vrai du faux s’est interrogé le quotidien montréalais La Presse? En enquêtant, ont répondu ses journalistes qui pendant des semaines ont repris un à un les entretiens de leur confrère et ont tout vérifié avec minutie. Y compris ceux que François Bugingo leur a accordés au fil des ans. La Presse admet d’ailleurs s’être fait berner comme les autres.

Le résultat de l’enquête s’avère si désolant que, dans un premier temps, les quatre employeurs (la radio 98,5 FM, Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et le Groupe TVA) décident de suspendre le journaliste. Aussitôt, François Bugingo a réagi sur sa page Facebook à l’enquête publiée par La Presse : « J’ai vu et lu cet article dégradant. (…) Je suis sidéré par cette attaque et je suis désolé que mes employeurs actuels y soient mêlés malgré eux ». Depuis, le mot dièse #Bugingo est le plus cliqué sur la toile au Québec… Sa crédibilité étant sérieusement attaquée, François Bugingo a décidé de se retirer « momentanément » de la vie publique.

Fables et embellissements

En attendant de « défendre son intégrité le moment venu devant les instances concernées », le journaliste aura fort à faire tant son parcours godille entre fables et embellissements. Né à Kisangani (RDC) de parents réfugiés rwandais et arrivé au Québec en 1997, François Bugingo a été vice-président de la section Monde de Reporters sans Frontières (RSF).

Un poste qu’il a réellement occupé, mais dont il a nettement exagéré les attributions prétendant avoir négocié avec al-Qaïda la libération d’un journaliste otage en Mauritanie en 2011. Des assertions démenties catégoriquement par RSF. Aujourd’hui, François Bugingo admet n’avoir jamais négocié la libération d’un otage.

Autre mission mise en doute, celle qu’il prétend avoir accomplie début 2011, en pleine révolution, en tant que représentant de la Commission européenne auprès du ministre de l’Intérieur égyptien « afin de s’assurer de la circulation de l’information », dit-il lors d’un entretien à La Presse en mars de la même année.

Exercice périlleux

François Bugingo n’est pas le premier ni peut-être le dernier à «bidonner» son parcours journalistique. Encore qu’à l’ère d’Internet et des communications instantanées, l’exercice devienne de plus en plus périlleux. Mais certains, souvent reconnus dans leur métier, s’y sont risqués. En France, on se souvient de Patrick Poivre d’Arvor (TF1) qui, en 1991, prétend avoir obtenu un entretien en tête à tête avec Fidel Castro : il s’agit en fait d’un montage réalisé à partir d’une conférence de presse.

Des journalistes sont tentés d’embellir ou de rendre plus dramatiques de vraies missions. Ainsi, Brian Williams, présentateur vedette de NBC, suspendu en février 2015 pour avoir relaté que lors de la guerre en Irak, l’hélicoptère militaire dans lequel il avait pris place avait été touché par des tirs. Il s’agissait en vérité d’un autre appareil qui avait essuyé des tirs. Autre journaliste prise la main dans le sac, Janet Cooke (Washington Post) couronnée par un prix Pulitzer en 1981 pour son « Jimmy’s World ». Un reportage sur un petit garçon de 8 ans héroïnomane. Touchant, déchirant même, mais tout faux, Jimmy n’a jamais existé.

Source/RFI
Photo/Archives
www.anmwe.com

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