MONTREAL, Canada – Céline Galipeau a été dépêchée par Radio Canada en Haïti pour un reportage, à la suite de l’afflux des demandeurs d’asile en provenance des États-Unis, au poste frontalier St-Bernard de Lacolle, au Québec. Jusqu’au 17 août, si on se fie aux déclarations de la Gendarmerie Royale Canadienne GRC (la police fédérale), 8000 demandeurs d’asile ont été interceptés, en 3 mois, 80% sont des Haïtiens. Ce n’est rien, direz-vous, si l’on compare à l’Allemagne pays qui reçoit le plus de demandes d’asile dans le monde, soit 1,3 millions à la fin de 2016, selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés. Le sort est ironique quand on sait que l’Allemagne a provoqué durant la période de l’entre-deux-guerres des millions de réfugiés en Europe, dont deux millions de Belges. Ils fuyaient la guerre pour éviter d’être affamés, persécutés, torturés ou tués.

Mme Galipeau fait partie de la crème des journalistes du Québec. Reporter chevronnée qui nous a gratifiés de reportages de qualité exceptionnelle lors du séisme en 2010. Chef d’antenne au Téléjournal de Radio Canada. C’est de la grosse pointure. Il faut que nos amis canadiens soient vraiment préoccupés qu’elle débarque de ce côté de l’île d’Hispaniola.

Lorsque je l’ai aperçue, dans le hall de cet hôtel, j’étais dans tous mes états. C’est comme si un fan de foot rencontrait Neymar, Messi ou Ronaldho.
Elle est venue chercher une réponse, m’a-t-elle confiée. Pourquoi les Haïtiens quittent-ils, massivement, pour ne plus revenir? Après avoir balbutié des éléments de réponse qu’elle écouta avec une humilité, une patience et une attention intimidantes et déconcertantes, je lui ai nommé des personnalités comme Numa, Duval et Alphonse qui sauraient, sans doute, faire le tour de la question.

Alors, chers lectrices et lecteurs, et, si on se posait la question: «Pourquoi de nombreux compatriotes ratissent l’Amérique du Sud, remontent environ 7000 kms, jusqu’à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Et, pourquoi certains d’entre eux parcourent un autre 4ooo kms, jusqu’au Canada?»

Dans l’imaginaire haïtien, il n’existe que deux endroits dans le monde: ici (Haïti) et là-bas (le reste de la planète). La-bas, c’est également les “peyi blan”, c’est- à-dire tout ce qui est étranger à Haïti. Un monde binaire.

Au vingtième siècle, certains pays nous choisissaient. Cuba, République dominicaine (pour la Zafra), le Canada (dans les années 60 pour la révolution tranquille), les États-Unis (pour le secteur textile et autres usines nécessitant de la main-d’œuvre peu qualifiée). Depuis deux décennies, avec la libération de l’information, grâce à Internet, nous choisissons nos destinations. Chaque Haïtien semble spécialiste en géopolitique. Nous connaissons par cœur la liste des pays émergents et les conditions plus ou moins souples des conditions migratoires.

De plus, les Haïtiens semblent confondre les méridiens et les longitudes avec les frontières. Ils font le parallèle entre ces différents concepts et se disent qu’ils sont tous des lignes imaginaires… Des inventions qui ne les arrêteront point. Il faut toujours être en mouvement. Bouger est la consigne. Bouger… car rester peut être fatal… Bouger, car rester c’est la faim. Bouger, car la fin justifie les moyens. Là-bas, c’est la fin de la misère.

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Source/Le Nouvelliste
Photo/Archives
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