Les psychologues judiciaires identifient ce qu’ils appellent le triangle de la fraude : la pression sociale ou le besoin financier, la rationalisation ou le déni de la fraude ainsi que l’opportunité ou la chance de se faire prendre. La même trilogie est applicable à la corruption et à la criminalité. La compréhension et la maîtrise de ce triangle constituent des facteurs cruciaux dans la lutte contre la fraude, la corruption et la criminalité.

La pression sociale et le besoin financier demeurent deux des déterminants importants de la fraude et de la criminalité. Trop souvent, le fraudeur ou le criminel veut vendre une image très différente de ce qu’il est effectivement. Le paraître est pour lui une excessive obsession. Le potentiel fraudeur se tourne alors sur les risques de se faire prendre avant de passer à l’acte si cette probabilité lui paraît faible.

Une fois l’acte de fraude consommé, le coupable tente de rationaliser son choix. Un fonctionnaire public dira par exemple qu’il était sous-rémunéré. Il cherchera à faire valoir des circonstances atténuantes. Les plus véreux s’adonneront au déni. Tout simplement. Ils feront comme si de rien n’était. Ils se cachent derrière des excuses, les unes plus farfelues que les autres.
Puisque ces gens ne prêtent pas trop attention à leur réputation, la sanction efficace à leur infliger, c’est de leur priver des fruits de la fraude mais également de leur liberté. C’est là où le bat blesse en Haïti où le système judiciaire n’arrive pas à jouer son rôle efficacement.

Pour lutter efficacement contre la fraude, la corruption et la criminalité, l’État haïtien doit instaurer un vrai système de dissuasion crédible et efficace. Cette problématique est tellement importante qu’elle a été retenue comme l’une des principales thématiques de la dixième édition du Rendez-vous de l’Autorité des marchés financiers du Québec, le 16 novembre 2015. Les panélistes ont abordé tous les aspects du problème.

La dissuasion crédible et efficace prend corps lorsque les contrevenants potentiels pensent que les risques associés à une opération de fraude ou de vol sont plus élevés que les bénéfices. Elle s’applique à tous les domaines de la lutte contre la criminalité.

Le potentiel contrevenant se pose très souvent les questions suivantes: Quels sont les risques que je me fasse prendre? Si je me fais prendre, quelles en seront alors les conséquences? Les réponses à ces questions déterminent le niveau d’incitation à frauder ou à commettre un crime par un individu.

Au Canada, en France et aux États-Unis, pour ne citer que ces trois pays, les risques de se faire prendre sont élevés. Et quand on se fait prendre, les conséquences sont généralement néfastes. L’ex-patron du Fonds monétaire international (FMI), le célèbre économiste français Dominique Strauss-Kahn, peut en témoigner. N’étaient ces frasques à caractère sexuel qui lui avaient valu des poursuites judiciaires américaines, il pourrait bien être l’actuel président français. Donc, la probabilité de se faire attraper dans ces pays est maximale et les conséquences y sont stratosphériques.

En Haïti, les réponses vont plutôt dans le sens contraire. Les risques de se faire prendre sont faibles. Ils sont négligeables pour les officiels et leurs proches. De plus, si le contrevenant se fait attraper, les conséquences sont également insignifiantes. Les cas de Sonson Lafamilia et Renel Le Recif demeurent des exemples éloquents. Or, si les risques et les conséquences sont négligeables, il ne peut y avoir de dissuasion efficace et crédible, ce qui est un passeport diplomatique pour la fraude, la corruption et la criminalité.

Les questions relatives au risque de se faire prendre et les conséquences y relatives permettent de déterminer les facteurs qui garantissent un effet dissuasif crédible. Il en existe 7 : la sécurité juridique, la détection efficace, la collaboration et la coopération, l’enquête, la sanction punitive, la transparence et la gouvernance.

Sur tous ces points, la différence est flagrante entre les pays du Nord ci-dessus mentionnés et Haïti. On ne peut pas parler de sécurité juridique au pays de Dessalines, tellement le système judiciaire est faible et corrompu. Et la détection ne saurait être efficace en l’absence d’une sécurité juridique.

En parlant de détection efficace, selon les données disponibles, la chance de se faire prendre fait passer de 66 % à 10 % la proportion des gens qui ont l’intention de frauder, voler ou tuer. Cela voudrait dire également que la majorité des gens volent si le risque de se faire attraper est nul. De plus, ce n’est pas forcément la sévérité des peines qui fait peur mais plutôt la probabilité d’être attrapé. On le dit souvent : Haïti dispose d’excellentes lois, notamment en matière de lutte contre la corruption. Ce qui fait défaut, c’est plutôt la probabilité de se faire prendre.

Le triangle de la fraude aide à mieux comprendre pourquoi des individus considérés comme honnêtes fraudent en Haïti. Il permet d’entrevoir également les mesures à envisager pour contrer la fraude et la criminalité. Malheureusement, certains de ces problèmes ne seront pas résolus du jour au lendemain.

Un dispositif de détection efficace passe par l’utilisation optimale de la technologie, puisque le volume d’informations à traiter est élevé. La collaboration et la coopération demeurent des composantes essentielles d’un système de dissuasion efficace et crédible. Elle aide à mettre les acteurs en confiance afin qu’ils puissent dénoncer et fournir les informations dont ils disposent en cas de fraude, de vol, de kidnapping et de crime.

Ces informations aident les officiers d’enquête à recueillir les preuves judiciaires d’existence de fraude, de vol et crime. Ces preuves permettront à la justice de trancher et de se prononcer sur les sentences des coupables, les récompenses des dénonciateurs et la compensation des victimes.

La sanction punitive doit garantir l’existence des peines justes et efficaces afin de punir tous les coupables. Cela aura pour effet de dissuader tout individu ayant le désir de commettre de pareils actes dans le futur. Elle assure également l’existence de recours à toutes les victimes et remplit également une fonction de renforcement du respect des gens qui obéissent à la loi et aux normes du « bien vivre-ensemble ».

À toutes les étapes, la transparence est de mise. Les règles doivent être claires et connues de tous. La transparence vise à maintenir la confiance des agents et des investisseurs tout en les rendant redevables. Elle garantit à ce que nul n’en prétexte ignorance.

L’ensemble de ces éléments conduit à une saine gouvernance, respectueuse de l’éthique, de l’honnêteté et de l’intégrité. Et cette bonne gouvernance procure à son tour la pérennité de la dissuasion crédible et efficace. Le tout contribue à l’émergence d’une culture d’éthique et d’honnêteté nécessaire à la lutte contre la fraude, le vol et la criminalité, culture dans le sens d’un comportement global observé au niveau de la société.

Cette bonne gouvernance crée un climat de cohésion et de confiance tant au niveau de la population que chez les investisseurs qui n’hésiteraient plus à investir. Et finalement, ce sont ces investissements qui génèrent la croissance et le développement économique.

Jadis en Haïti, cette culture éthique minimale réprimandait le vol et le crime, particulièrement dans l’arrière-pays. Les coupables étaient mis à l’écart par les membres de leur propre famille. Dans les campagnes, ils faisaient l’objet de chansons ironiques dans les bandes de rara. Et cette sanction sociale décourageait les actes répréhensibles.

Aujourd’hui, au contraire, ils se la coulent douce en vantant – sans gêne aucune – leurs prouesses d’avoir pillé, volé, escroqué, arnaqué, kidnappé et tué. Et tout cela, bien sûr, sans conséquence policière, juridique et sociale aucune. C’est donc, sans surprise, que des dirigeants pillent les caisses de l’État, des fonctionnaires sont corrompus, des entrepreneurs s’érigent en corrupteurs et rentiers et une plus grande proportion de la population vole et tue.

Un système de dissuasion crédible doit instaurer un système avec la carotte et le bâton. On récompense les vertueux et punit les crapules. Il requiert également de la cohérence globale. Par exemple, une banque, une entreprise ou une institution publique ne doit pas révoquer un employé pour fraude, vole et crime avéré un jour et le retrouver le lendemain chez un concurrent. Un gouvernement ne doit pas sanctionner quelqu’un pour crime documenté et qu’un autre le nomme à des postes de haute responsabilité.

À ce titre, il importe de souligner que trois des condamnés du Procès de la consolidation (1903-1904) sont devenus présidents de la République. Donc, en Haïti, être corrompu peut s’avérer être une qualité recherchée pour accéder à la magistrature suprême. C’est pourtant un grand handicap au développement économique et social. Et choisir des corrompus et des dilapidateurs comme des dirigeants demeure un des facteurs du sous-développement chronique d’Haïti.

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Thomas Lalime
Source/Radio Caraibes
Photo/Archives
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