PORT-AU-PRINCE – Plus personne ne profite des piscines des hôtels de Port-au-Prince: après les violences qui ont paralysé Haïti pendant plus de dix jours, l’industrie touristique, qui avait réussi à effacer l’image d’un pays meurtri par le séisme de 2010, est aujourd’hui au bord de l’agonie.

Les images de pillages et de barricades en feu, diffusées sur les chaînes d’information internationales, ont une nouvelle fois ramené Haïti à sa réputation de pays peu sûr, car politiquement instable.

L’évacuation par hélicoptère, la semaine dernière, de plus d’une centaine de touristes canadiens bloqués dans une station balnéaire, a fini de noircir le tableau. «Nous avons vécu douze jours d’horreur.

Nous avons géré la crise, mais aujourd’hui nous subissons le contrecoup», analyse la ministre haïtienne du Tourisme Marie-Christine Stephenson.

Après une semaine de violentes manifestations antigouvernementales, au cours desquelles sept personnes au moins ont trouvé la mort, le coup de grâce a été porté par les États-Unis.

Depuis le 14 février, Haïti est désormais classé par son géant voisin sur la liste noire des destinations où il ne faut pas voyager, au même titre que douze autres pays, dont la Syrie, le Yémen ou l’Afghanistan.

«Nous estimons que ce niveau 4 est exagéré dans la mesure où il s’agit d’émeutes extrêmement ponctuelles», juge la ministre. «Bien sûr, ça a duré douze jours, mais je ne suis pas sûre que les autres pays de la Caraïbe, qui connaissent eux aussi leurs propres émeutes, soient aussi durement et rapidement pénalisés que nous».

Cette décision du département d’État américain a immédiatement entraîné la disparition des deux aéroports internationaux d’Haïti des listes des principaux sites internet de vente de voyages.

Face aux annulations de réservations et aux chambres vides, les professionnels du secteur n’ont pas encore chiffré le coût de cette crise, mais envisagent déjà, pour la deuxième fois en moins d’un an, de devoir se séparer d’une partie de leurs employés.

Début juillet 2018, trois journées d’émeutes, causées par une tentative gouvernementale d’augmentation des prix des carburants, avaient déjà plombé la saison estivale.

«Aujourd’hui, la perte n’est pas seulement pour les hôteliers», explique Béatrice Nadal-Mevs, présidente de l’Association touristique d’Haïti, qui rassemble les opérateurs du secteur. «Cela va affecter surtout la population, car ce sont des emplois directs qui vont être perdus. Ce sont aussi les chaînes de fournisseurs qui sont menacées: l’agriculture, la pêche, l’artisanat, le transport…»

Avant même une nouvelle manifestation de l’opposition, qui exige toujours la démission du président Jovenel Moïse, l’industrie touristique d’Haïti a encaissé mercredi un nouveau coup dur avec l’annulation du carnaval dans la capitale.

«Dans le souci de pouvoir garantir la sécurité absolue des carnavaliers, le comité organisateur du carnaval de Port-au-Prince (…) a jugé impossible la planification d’un défilé carnavalesque de qualité», indique le communiqué de la mairie.

Ces festivités, prévues cette année les 3, 4 et 5 mars, attirent traditionnellement beaucoup d’Haïtiens vivant à l’étranger, qui profitent du carnaval pour fuir les températures hivernales du Canada ou de la côte Est des États-Unis.

Le gouvernement, responsable du carnaval national attribué pour 2019 à la ville des Gonaïves, n’a de son côté pas encore fourni d’indications quant à la tenue ou non de l’événement.

Dans ce contexte morose, quelques rares touristes étrangers ont malgré tout maintenu leur voyage en Haïti.

Sous haute protection policière, un groupe d’Australiens a pu mercredi apprécier les statues des héros de l’indépendance sur la place du Champ de Mars, là où, quelques jours plus tôt, manifestants et policiers échangeaient jets de pierres et grenades lacrymogènes.

«Je fais confiance à mon agence de voyage: elle peut nous emmener, mais aussi nous ramener», sourit Carole, qui participe à un voyage de 30 jours dans plusieurs pays caribéens.

Dans ce groupe d’une vingtaine d’adultes, Kevin McCue est ravi que leur voyagiste n’ait pas opté pour le plan B, qui aurait été de leur faire passer la semaine en République dominicaine voisine.

«Le tourisme est bien vivant ici, les gens devraient venir», estime le touriste australien. «Plus ils viendront, plus ils distribueront de l’argent parmi les personnes qui en ont besoin, et mieux ce sera pour Haïti».

Source/TVA Nouvelles

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